J’ai visité ce lieu le 30 Décembre 2017 au cours d’un road-trip d’Amsterdam à Bruxelles. Durant ce voyage, j’ai exploré plusieurs lieux, certains figurant dans mon livre «Urbex Europe», d’autres étant présentés sur ce site. Le lieu présenté sur cette page étant réellement magnifique, je l’ai choisi pour figurer dans le livre, qui parut le 13 Février 2019. Quelques mois plus tard, me renseignant sur ce que devenait ce lieu, j’appris une triste nouvelle : le beau manoir avait été rasé en Mars 2018. Ci-dessous, une vue datant de Septembre 2018.

Lorsqu’un lieu «urbex» est rasé ou réhabilité, il devient inutile de cacher sa localisation, et je mets à jour ma page le concernant, en indiquant son vrai nom, son emplacement, son histoire etc. Ce manoir figurant dans un livre, j’ai décidé de faire cette mise à jour ici, sur mon site. Vous verrez donc sur cette page tout ce qui a été utilisé pour «Urbex Europe» (dessin, photos et texte) mais également d’autres photos n’ayant pas été retenues faute de place. Le texte est le même que dans le livre, mais avec plus de détails et d’impressions. On va débuter par le nom que je lui ai donné : «Denkbeeldig Herenhuis», qui signifie «Manoir Imaginaire». Pourquoi «imaginaire» ? Car je n’ai pas pu y entrer, du coup je me suis imaginé comment il était à l’intérieur (le dessin plus bas symbolise ça). Son vrai nom est «Nottebohm», du nom de la personne l’ayant fait construire. Depuis 1834 le domaine sur lequel fut construit le bâtiment appartenait à la famille Nottebohm. Le terrain de plus de 58 hectares fut acheté à la Municipalité de Brecht. Après l’achat, en 1854, le terrain fut agrandi et le château et ses dépendances furent construits en 1908/1909 par Ferdinand Otto Nottebohm, marié à Maria Kreglinger. Le texte ci-dessous est une traduction de cette page (attention, c’est long) :


Cette famille était connue à l’époque pour ses nombreuses initiatives en matière de santé, avec un institut pour les maladies de la peau à Anvers et à Brecht. À Brecht, la "Maison d'Hôtes pour les Maladies de la Peau" fut fondée en 1901 par Maria Amalia Nottebohm-Van Laer. Le grand parc fut aménagé en 1909 avec, d’une part, un motif en forme d’étoile et, d’autre part, une division en grandes parcelles en damier. Une partie du domaine conserva son utilisation des terres d'origine telle que les forêts, les landes, les champs et les prairies. Depuis le concept du début du XXe siècle, de nombreuses interventions n’ont préservé que la configuration générale du parc, l’imposante voie d’accès, la forêt du parc et certaines prairies à l’air naturel.

En 1909, la construction d'une série de nouvelles structures est inscrite au registre foncier, parmi lesquelles un certain nombre de dépendances, telles que le lieu de stockage et la remise située au nord-ouest de la maison de campagne (se trouvant du côté de la rue) ainsi qu’une une ferme modèle avec des écuries, une maison de gardien et plusieurs dépendances.

Le manoir est un exemple typique d'une maison de campagne du début du XXe siècle située dans les zones boisées autour de la ville, construite comme une retraite à la campagne pour les familles aisées d'Anvers. Un style architectural pittoresque, imaginatif et éclectique fut choisi pour ce type de bâtiment, dans lequel se combinent des éléments de la Renaissance Néo-Flamande, le style traditionnel de cuisson de grès et le style de cottage. L'architecte Ernest Pelgrims dessine les plans du château. Les travaux sont réalisés par l'entrepreneur Jean Bolsée.

Le château a deux étages sur un sous-sol semi-souterrain et est recouvert d'un haut toit en ardoise, surmonté à l'origine d'une tour de toit et de plusieurs hautes cheminées en brique. Une girouette en fer forgé est placée à son sommet. La maçonnerie de briques rouges aux joints soigneusement posés est entrecoupée de pierres naturelles pour les couches de bacon, de cadres pour les ouvertures des murs, de blocs et de décorations telles que les cartouches, dont l’année est "ANNO 1908". L'utilisation du bois pour imiter les cadres des pignons, des balcons et des loggias est un élément typique du style cottage, un style qui est resté très populaire pour la construction de maisons de campagne et de villas jusqu'à la période de l'entre-deux-guerres.

Les quatre façades sont variées et erratiques. La façade, orientée au nord, comporte un portail d'entrée central composé d'une arcade à trois arches avec des colonnes en pierre de taille. Ce portail est accessible par un large escalier. Le portail ouvert donne accès au hall spacieux par des fenêtres en bois munies de petites barres de distribution. À gauche et à droite de ce portail, un pignon avec une imitation de charpente dans le haut, des baies vitrées, une saillie en forme de tour à droite, un bow-window au premier étage. La façade arrière est orientée au sud et dispose d'une grande terrasse aux deux angles, couverte du côté ouest. La façade arrière utilise également une extension en forme de tour, des balcons, des loggias et un cadre d'imitation. En plus d'une terrasse d'angle, les murs latéraux ont chacun une baie vitrée qui s'étend sur deux étages.

L'intérieur de la maison a été négligé et presque complètement détruit. La structure est toujours clairement reconnaissable et correspond à l’organisation d’un foyer familial issu de la haute bourgeoisie, avec la particularité essentielle que le personnel domestique résident est établi. Le propriétaire et sa famille vivaient au rez-de-chaussée surélevé et au premier étage. Au sous-sol, nous trouvons des zones de service telles que cuisine, buanderie, zones de stockage et salle à manger pour le personnel; les chambres du personnel sont situées sous le toit. Le plan est construit symétriquement autour d'un axe central du portail d'entrée, des zones de réception et de la cage d'escalier à l'arrière. A l'est et à l'ouest, une enfilade de trois salons ouvrant chacun sur un salon avec une terrasse donnant sur le jardin.

Au nord-ouest du manoir, une dépendance en forme de U fut construite en 1909 dans un style commun, actuellement appelé lieu de stockage, mais peut-être autrefois une remise à voitures avec écuries. C'est un bâtiment en brique rouge sur socle en pierre dure, sous des toits de selle en ardoise brisés par des fenêtres de toit sous un toit en selle. Comme dans la maison de campagne, la pierre naturelle blanche offre des façades vives à travers des bandes horizontales, des linteaux et des encadrements de fenêtres. La longue façade sur le côté de la cour est percée par deux portes rectangulaires. Dans l'aile latérale courte, il y a des portes avec des linteaux droits en pierre naturelle et des fenêtres de cloître dans les murs latéraux. La courte aile nord est accentuée par la décoration soignée de la façade supérieure de style cottage. Le plancher du grenier est entièrement équipé d'un cadre d'imitation et forme un grand toit soutenu par deux poutres en bois. Cette partie est recouverte d’un toit en croupe d’ardoise, avec une fenêtre de chargement joliment détaillée sur la façade est.


Le domaine fut habité de manière régulière jusqu'en 1943. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le château fut utilisé par l'armée Allemande. Après la guerre, la famille ne venait que rarement en vacances. Dans les années 1950, le château fut loué comme hôtel et restaurant. Après il fut presque vide. Dans les années 1970 le lieu deviendra un centre équestre avec chevaux, poneys et quelques attractions pour les enfants (petit zoo, trampolines, piscine etc). Dans les années 1980, il fut mis en vente, sans résultat. Des années de délaissement conduisirent à un état extérieur négligé et à un intérieur en grande partie disparu. Ci-dessous, voici des cartes postales anciennes (non datées) montrant le lieu lorsqu’il était habité.







Le jour de ma visite, la météo n’était pas vraiment dans mon camp. Après m’être garé à environ un kilomètre du manoir, je réalisais qu’il allait falloir être très discret car même si la première partie du voyage consistait à marcher le long d’un chemin de traverse assez camouflé (arbustes et buissons un peu partout), l’autre consistait à traverser un champ bien à découvert. Des terres labourées sans le moindre buisson pour se cacher. D’autant que lors de ma visite (fin décembre) les arbres étaient plutôt dégarnis... C’était risqué, mais vu le look du bâtiment le jeu en valait la chandelle. Il fallait tenter, après tout sur Internet le lieu avait l’air d’être pas mal visité. Et puis ce jour-là, petite astuce qui m’aiderait peut-être, j’étais entièrement vêtu de kaki : casquette, veste, pantalon et bottes.

Top départ. Dix minutes de marche le long d’une route avec de la circulation pour arriver près d’un poste électrique bordant un premier champ de maïs. Cette borne en béton, assez large pour me dissimuler, va me permettre de franchir le premier obstacle : une clôture que j’escalade discrètement. J’atterris sur un chemin de terre où un panneau indique que la propriété est privée. Est-ce que ça concerne juste le chemin que j’emprunte ? Les champs situés de part et d’autre ? Tout le domaine ? Aucune idée. Je poursuis mon objectif en restant vigilant.

Cinq minutes plus tard, un autre champ, de patates cette fois-ci, s’étend à perte de vue. Si je le longe comme le précédent, j’ai de grandes chances de croiser un agriculteur sur son tracteur, et l'aventure se terminera là. Couper à travers les cultures me semble être la plus rapide des solutions pour rejoindre les sous-bois et éviter des rencontres inopportunes. Traverser ce champ boueux dans lequel mes bottes s'enfoncent de dix centimètres à chaque pas est une drôle d'aventure.



Un petit fossé au fond duquel coule une rivière marque l’entrée de la propriété, enfin, je crois, car je me dis que cette rivière est probablement une frontière naturelle, mais sans en être sûr à 100%. Il faut bien se rassurer un peu : une fois de l’autre rive je serais bien moins à découvert qu’en plein champ. J’enjambe facilement le petit fossé, et me voici enfin dans la forêt, à l’abri.

Je peux souffler un peu, enfin, pas trop non plus, car en cette saison, il n’y a pas grand-chose pour se cacher. Quelques buissons ici et là, mais en été ça aurait été bien plus simple. J’imagine que la forêt n’est plus entretenue depuis l’abandon du manoir, mais je reste sur mes gardes. Le bruit des voitures, bien que lointain, est perceptible. Au loin j’entends des chiens aboyer. Ceux de la ferme située à proximité, sans doute. Nerveux, voire tendu, je ne m’arrête pas pour autant et marche d’un pas rapide de buisson en buisson. Au détour d’un arbre, la demeure apparaît enfin, tout comme un chemin faisant le tour du splendide édifice. Ce chemin n’a pas du tout l’air abandonné, et pour le coup un petit frisson monte le long de mon dos : et si un 4x4 arrivait à l’improviste ? La crainte d’être repéré ne me lâche pas. Chaque passage de camions sur la route au loin me fait sursauter et par réflexe je me planque dans un bosquet de peur de voir arriver un véhicule.











Je dois toutefois reprendre mes esprits pour profiter de ce joyau d’architecture. Des façades en briques rouges ornées par endroits de colombages, des balcons terrasses aux rambardes ajourées, des mosaïques colorées décorent les bordures… C’est superbement conservé même si la végétation envahit les murs et les toits. Assez rapidement je fais trois fois le tour du bâtiment pour prendre le maximum de photographies et trouver un passage, le sésame pour pouvoir pénétrer à l’intérieur.





A ma grande déception, toutes les issues sont malheureusement barricadées. Des travées métalliques empêchent toute intrusion. Ne pas pouvoir entrer est certes une déception, mais le lieu ne m’inspirant pas entièrement confiance, le stress de ne pas pouvoir se cacher à l’intérieur du manoir est pas mal non plus. J’envisage une autre solution, plus dangereuse : escalader la façade pour atteindre un des balcons. Seul, l’entreprise me semble trop risquée ! On ne sait jamais, personne n’est à l’abri d’une chute. Au loin, le chien entendu un peu plus tôt aboie à nouveau : a-t-il senti ma présence ? Ne pouvant entrer dans le manoir, je documente tout de même ce que je peux de l'extérieur du bâtiment, si beau malgré son état déplorable.









Ci-dessous quelques détails :









Je n’aurais pas la chance de découvrir ce qui se cache derrière ces murs. Mais cela fait partie du jeu. Et c’est avec quelques regrets que je regagne la route. Avant de quitter les lieux, je prends d'autres clichés, marchant à reculons. Au fur et à mesure le manoir rétrécit, jusqu'à ne plus être qu'une vague ombre perdue dans les bois.

Ne pas pouvoir entrer dans un lieu qu’on espérait explorer fait finalement naître en moi un sensation plutôt agréable, qui est de pouvoir imaginer ou rêver ce qu’il y a à l’intérieur des murs. C’est aussi ça, l’exploration urbaine : rien n’est acquis d’avance. Des fois on n’arrive pas à atteindre notre but. Alors que reste-t-il ? De la frustration, certes, mais surtout une belle part de mystère qui n'est pas désagréable. J’aime ce mystère, cette inaccessibilité. «Un but inaccessible est potentiellement une source éternelle de bonheur», dit Tristan-Edern Vaquette. Une citation de circonstance. Ci-dessous, le dessin réalisé pour le livre «Urbex Europe» qui résume cette frustration mais aussi ce travail de l’imagination.

Ci-dessous le lieu reconstitué en Légo. Source (1) / Source (2)

Ci-dessous, voici deux articles traitant de la démolition du lieu en Mars 2018. Attention, l’information selon laquelle le lieu fut utilisé dans le film de Tim Burton "Miss Peregrine Home for Peculiar Children" est fausse, il ne s’agit pas du même manoir.

21 Juin 2018 : "La villa de la famille Nottebohm située à Brecht (Anvers) a finalement été démolie. Cette vieille bâtisse envahie par la végétation avait failli être le décor du film "Miss Peregrine et les Enfants Particuliers" du célèbre réalisateur américain Tim Burton. Le film avait finalement été tourné à Brasschaat. La villa était abandonnée depuis trente ans avait été construite au début du siècle dernier. Elle avait des allures de château hanté.

"Nous avons tout tenté pour empêcher la démolition de la villa, mais en vain" a déclaré, avec déception, le bourgmestre de Brecht Luc Aerts. "Elle faisait quand même partie du patrimoine. Nous avions déjà refusé un permis de démolition mais les propriétaires ont été en appel auprès de la Province. Finalement ils ont obtenu l’autorisation de démolir la bâtisse, sans doute parce que la famille devait s’acquitter d’une importante taxe sur les bâtiments inoccupés." (Source)

22 Juin 2018 : "Un peu silencieusement, l'un des bâtiments les plus célèbres de Brecht a disparu de la scène du village. La Villa Nottebohm - qui figurait jadis dans un film du célèbre réalisateur Tim Burton - a été démolie. "Le bâtiment est en déclin depuis des années, mais la démolition reste un triste fait", a déclaré le maire Luc Aerts. La villa Nottebohm a été construite au début du siècle dernier en tant que retraite à la campagne pour la famille aisée d'Anvers, la famille Nottebohm-Kreglinger. Depuis les années 1980, la maison de campagne située dans le hameau d’Overbroek était vacante, ce qui a eu pour conséquence évidente sa diminution. À la fin, des arbres ont même poussé du toit. Il y a quelques mois, les descendants des Nottebohms ont décidé de demander un permis de démolition pour le bâtiment. Les gens ne voulaient plus éponger la taxe de séjour de 30 000 euros qu'ils devaient payer chaque année.

"En tant que municipalité, nous avons initialement refusé ce permis", a déclaré le maire de Brecht, Luc Aerts (CD & V-CDB). «Parce que bien que la Villa Nottebohm ne soit pas officiellement protégée en tant que monument, nous avons estimé qu’elle avait une certaine valeur patrimoniale. Cependant, la famille a fait appel à la province et a reçu le feu vert pour la démolition. »Plus tôt cette année, le disjoncteur a été retiré, mais cela est passé inaperçu car la villa n'était pas vraiment visible de la rue.
Luc Aerts regrette que le bâtiment ait disparu depuis, même s'il peut comprendre le fait que la famille Nottebohm ait voulu se débarrasser de la taxe de séjour. «Nous sommes conscients qu'il n'est pas toujours évident pour les propriétaires de ces types de bâtiments monumentaux de leur donner un objectif économiquement utile. En effet, ils sont souvent liés à des règlements de planification spécifiques. C’est précisément la raison pour laquelle nous travaillons dans notre municipalité à un plan de mise en œuvre spatial qui devrait offrir plus d’options.

Malheureusement, la famille Nottebohm n'a pas voulu attendre l'achèvement de ce RUP. Pour être honnête, je n'ai également aucune idée de ce que la famille a fait jusqu'à présent avec le domaine. » De plus, nous n'avons pas eu recours aux Notthebohms pour des explications supplémentaires. Quoi qu'il en soit, la maison est partie et ne reviendra jamais. Heureusement, elle vit dans le film "Miss Peregrine Home for Peculiar Children" de Tim Burton. Le réalisateur américain a utilisé le bâtiment en 2011 comme toile de fond. On peut dire: il a basé son décor sur une photo de la villa. "Je n'ai jamais vu le film moi-même", a déclaré le maire Aerts. "Mais peut-être que cela arrivera bientôt." (Source)


Concernant l'intérieur du Château Nottebohm, voici une vidéo datant d'Aout 2016 :


Ci-dessous, trois vues aériennes (2013, 2015 et 2018) :








Ci-dessous, une photo vue sur Facebook. Impossible de retrouver son auteur, mais à priori on voit le lieu tel qu'il était en 2013, puis avant, en 1973, quand c'était un centre hippique pour enfants.