Venu à l'origine pour visiter un site industriel qui s'avéra finalement très peu passionnant, c'est complètement par hasard que je suis tombé sur cette maison à l'allure plutôt charmante. Charmante, de jour, parce que de nuit ça doit être assez lugubre. M'arrêtant non loin du terrain, je n'eu alors aucun mal à m'en approcher. La maison étant bien voyante, je savais que je n'y trouverais pas grand chose, et que ça serait très probablement dégradé à l'intérieur, mais avec une façade aussi belle je ne me voyais pas partir sans la documenter. C'est typiquement le genre de lieu à finir démoli et dont il ne restera aucune trace.



L'accès à la maison est simple, et je pourrais y entrer via l'entrée principale sans aucun mal. Pour autant je décide d'en faire le tour car je suis curieux de voir quelle tête à la façade arrière. Assez similaire, elle est toute aussi charmante avec ce lierre qui grimpe par endroits.



J'arrive sans peine à accéder à la maison via un grillage renversé. Une porte ouverte m'invite à débuter mon exploration par le sous-sol de la maison. Comme prévu, tout est bien dégradé par les nombreuses visites que la maison a du supporter depuis... Aucune idée depuis quand, mais pourquoi pas une dizaine d'années ? Par endroits il reste des traces de vie : matelas, mobilier et autres objets minuscules ayant survécu aux vandales. Mais on a vraiment l'impression d'arriver après le passage d'un ouragan. Dans une pièce, j'aperçois un Totoro qui a l'air endormi, aussi endormi que cette bâtisse.











Vérifiant qu'il n'y a plus grand chose à voir, je ressors et revient à la façade principale de la maison. Je réalise alors que si l'intérieur contient des tags ici et là, l'extérieur en est exempt, et c'est vraiment joli à contempler. L'arcade de l'entrée et le tympan sur le toit sont jolis comme tout. Sans eux, pas sûr que j'aurais documenté cette maison.



Nous voici dans le hall. J'imagine qu'il devait avoir belle allure du temps où la maison était habitée. Déjà, il devait y avoir une rambarde. Et pas de trou donnant sur le sous-sol... Un grand graf tapisse la cage d'escalier, et en regardant bien on peut voir une sorte de grand moulage donnant l'impression d'un rideau.





Depuis ce hall, on peut aller à gauche et à droite. A droite, nous arrivons à ce qui devait être le salon. Et un salon bien grand. Au-dessus de la cheminée et un peu autour, un tagueur a dessiné de nombreux cœurs, un peu plus de cent vingt. Une signature donne le nom de l'auteur de cette banale et pas très intéressante dégradation : "Mac Lerouj"

Sur la gauche depuis le hall d'entrée, on peut accéder à deux autres pièces : un petit salon et à côté la cuisine. La cuisine n'étant pas super intéressante, je ne l'ai pas documentée, mais le petit salon a un certain charme de part son côté "presque" dans son jus, avec une dégradation minimale à gauche de la cheminée. Au sol je découvre des traces de vie en apercevant quelques exemplaires du magazine Toboggan remontant à 2002, c'est à dire 17 ans avant ma visite. L'abandon de la maison date-t-il de cette année ?





Il est alors temps de monter à l'étage...



Des pièces vides, de la dégradations, des tags, pas grand chose d'intéressant, mais dans la toute dernière pièce, la lumière au bout du tunnel : quelqu'un a écrit "BISOUS D'AMOUR" avec un mignon petit cœur sur le i de bisous. Je remarque aussi la signature d'un tagueur : "YKARE". Parfait pour le nom fictif de ce lieu.







Ci-dessous deux photos anciennes :






Les vues aériennes m'ont appris que la maison était déjà là en 1937. Ci-dessous des images de 1958, 1966 et 1969 et montrant le lieu en activité.





Les magazines Toboggan vus dans une des pièces indiquent que la maison était habitée en 2002. Ci-dessous, une vue datant de 2012. Le lieu est-il à l'abandon à cette époque ? Difficile à dire.

Ci-dessous, des vues datant de 2015, 2016 et 2018. On remarquera que le terrain a été dégagé entre 2012 (vue ci-dessus) et 2015, et que sur ces trois images, le lieu semble clairement à l'abandon.





Pour fini, deux vues Google Earth 3D montrant la maison en 2019.



Cette maison fut malheureusement démolie en septembre 2022. Photo trouvée sur Facebook :

Un article relate la démolition de la maison ici.

Un autre article de 2019 relate l'histoire de cette maison, le voici à titre d'archive :


«La clé de cette porte est votre imagination. Au-delà existe une autre dimension. Une dimension sonore, visuelle, intellectuelle. Vous découvrez un univers où se confondent illusion et réalité. Vous venez d’entrer dans la quatrième dimension.» Bon, pour les plus jeunes qui n’ont malheureusement pas connu cette série en noir et blanc, elle était diffusée dans les années 1960... Retour à l’ère des réseaux sociaux, du photomontage et aux esprits frappeurs autour d’Évreux.

Il y a quelques semaines, en fouinant sur Facebook à la recherche continuelle de sujets palpitants pour les lecteurs de Paris Normandie, je tombe sur la photo d’une vieille maison de maître en pierres blanches et accessoirement en ruine. Située à la croisée du chemin Potier et de la route d’Évreux, à Arnières-sur-Iton, la demeure, menacée de démolition par la déviation sud-ouest, date, à première vue, du XIXème siècle.

Sous ce cliché, de nombreuses réactions. «La maison du pendu», comme certains la surnomment, serait hantée par «des âmes en peine» après un horrible «meurtre» dans les années 1980, «à moins que les habitants aient été victimes de la peste» ou «des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale». Sur cette même photo, on distingue, dans l’encadrement de la porte d’entrée, trois petites silhouettes blanchâtres. Il n’en fallait pas plus pour me pousser à enquêter sur la véritable histoire de la «maison du pendu».

Maternité clandestine ? Toute bonne enquête commence par une recherche ardue de témoins. En mode Sherlock Holmes des temps modernes, donc celui interprété par Benedict Cumberbatch, je jette quelques bouteilles à la mer, ou plutôt quelques messages dans les limbes des réseaux sociaux à la recherche d’indices. Ce qui me conduit à contacter André Chevallier, ancien maire (pendant trente et unans) d’Arnières-sur-Iton, qui a «très bien connu les derniers propriétaires avant qu’ils ne soient expropriés, la famille Baudard de Fontaine». Il me dirige ensuite vers Nadine Guéné-Delavigne, généalogiste du village.

La Pommeraie, le véritable nom de cette demeure située à l’époque sur le Domaine de Navarre, «construite en 1852, était la résidence secondaire de Jacques Veau, un fabricant parisien de tissu qui y séjournait avec ses enfants et son épouse», révèle celle qui a effectué des recherches en 2014. Elle a réussi à dresser tout l’historique des propriétaires, mais aucune trace de phénomènes paranormaux.

En revanche, il y a eu plusieurs morts dans cette maison: «Celles d’une ancienne propriétaire et de son fils, décédés naturellement, et un suicide. Il n’est pas rare, surtout avant le XXème siècle, que les gens meurent simplement dans leur maison. Et ce, qu’importent les circonstances du décès», précise d’ailleurs Nadine Guéné-Delavigne. Avant la Seconde Guerre mondiale, l’histoire de La Pommeraie est donc similaire à de nombreuses autres maisons bourgeoises. Elle reste pendant plusieurs dizaines d’années dans la famille Veau et ses descendants, plus ou moins lointains.

L’une des premières rumeurs entendues sur cette maison remonte aux années 1940. «Elle aurait servi de maternité clandestine», confie un riverain et ancien employé de la maison, issu d’une très vieille famille d’Arnières-sur-Iton et qui préfère employer le conditionnel à chaque fois qu’il parle de cette «drôle de baraque». Mais cette hypothèse est impossible pour celui qui s’occupait du jardin de la Pommeraie.

Munitions dans les bois. Ce même riverain se souvient que, dans les années 1940, «la maison appartenait à Gustave Panchout, qui était plutôt copain-copain avec les Allemands». À cette époque, une troupe de jeunes militaires, «à peine majeurs», logeait dans cette grande bâtisse «située non loin du hangar à munitions dans les bois, face à la maison, qu’ils ont d’ailleurs fait sauter juste avant l’arrivée des Américains, raconte l’Arniérois. C’est même eux qui auraient installé le chauffage central dans la maison, un luxe pour l’époque.»

Né après la guerre, ce passionné d’Histoire et de son village a gardé de nombreuses traces du passé d’Arnières-sur-Iton. Dans un classeur de photos, il retrouve même des cartes postales «datant de la Première Guerre mondiale où des femmes et des hommes de deuxième ligne posent sur le perron de la maison et derrière, près de la dépendance».

Tous ceux qui sont entrés dans cette demeure du temps de sa superbe en gardent le même souvenir: «Moulures, boiseries, parquets, cheminées, cuisine moderne, double séjour et toujours du personnel de maison. Le jardinier et la cuisinière vivaient en rez-de-jardin.» Côté cour, un chenil, aujourd’hui détruit, une grande dépendance (pool house) et une piscine de 35m de long sur 10m de large, réalisée en 1938 par Pierre de Pauw et son père, maçon, pour la maison de Gustave Panchout. Dans notre édition du 3décembre 2014, le résistant et maçon à la retraite racontait ses souvenirs de la construction de «la piscine des Allemands», qui sert aujourd’hui de bassin de pêche à la truite à l’Association sportive et culturelle d’Arnières-sur-Iton (Asca).

Aux frontières du réel. Si personne ne se souvient avoir ressenti «une présence» dans cette maison, son histoire n’en demeure pas moins surprenante. Après la guerre, plusieurs Américains y ont séjourné mais c’est en 1982, alors qu’elle est en location, que survient un fait divers qui défraie la chronique. Pierre Andrès, 38ans, marchand de biens eurois, assassine son ex-compagne, Anne-Marie Lecerf, à Cailly-sur-Eure, et la mère de cette dernière, à bout portant, avec une carabine, avant de revenir dans cette demeure d’Arnières-sur-Iton pour s’y donner la mort. Cette affaire explique au moins son surnom de «maison du pendu» et la source de l’une des rumeurs présentes sur la Toile: «Un agent immobilier aurait offert cette maison à son épouse et leurs enfants avant d’assassiner toute sa famille pour une histoire de tromperie».

En 1985, lorsque les Baudard de Fontaine acquièrent le bien pour leur retraite, ils sont loin d’imaginer que rien ne se passera comme prévu. Danielle Biron, présidente de l’Association des usagers des forêts d’Évreux et environs (Aufee), se souvient: «Lui était ingénieur, il avait beaucoup voyagé, notamment en Inde. Ils arrivaient de Paris lorsqu’ils sont tombés en amour pour cette maison. Mais l’État et son projet de déviation de la Nationale 13, qui date de 1942, en avaient décidé autrement.»

En 1992, les plans du contournement d’Évreux sont ressortis et, six ans plus tard, le projet devient «d’intérêt public». La pression autour du rachat par l’État de La Pommeraie, située sur le tracé de la déviation sud-ouest, devient pesante pour le couple. Avec l’aide de l’Aufee, il constitue un collectif «mais cela n’a pas suffi», déplore Danielle Biron. Les retraités étaient complètement affolés et dévastés par l’annonce de leur potentielle expropriation. «C’est ce qui a tué Monsieur Baudard de Fontaine, assure Danielle Biron. Il était tellement triste, tellement anxieux, qu’il a fait une crise cardiaque en 1999 dans sa maison.» Seule propriétaire, sa veuve a finalement accepté l’offre de rachat de l’État et est retournée vivre à Paris. «Le comble, c’est qu’aujourd’hui, la maison est toujours debout et n’est même plus sur le tracé de la déviation. Ils auraient pu y vivre heureux jusqu’à la fin», s’attriste Danielle Biron.

Si les maisons ont une âme, l’enquête qui flirtait parfois avec les frontières du réel, m’a permis, telle Dana Scully aux côtés de Fox Mulder, de mettre en lumière celle de La Pommeraie. Une âme davantage tourmentée par un avenir incertain dû aux travaux de la déviation sud-ouest que par les petits fantômes et autres photomontages.

Et maintenant ? Pendant plusieurs années, après l’expropriation des Baudard de Fontaine, la maison aurait été divisée en studios où logeaient des employés de la Direction départementale de l’équipement (DDE). Si les services de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), aujourd’hui en charge du chantier, ne font aucun commentaire sur ce passé, de nombreux internautes ont affirmé y avoir été accueillis pour des missions. D’autres se souviennent aussi «que l’on pouvait louer les logements pour les vacances». Aujourd’hui, force est de constater que la maison en ruine est toujours là. Une surprise pour les personnes ayant eu un lien avec elle, et qui attendent de la voir tomber depuis plus de vingtans. La Dreal est catégorique: «Cette maison sera déconstruite.» Quand? Mystère. En attendant, la présomption de traces d’amiante et les travaux de la déviation qui tardent à reprendre laissent un léger sursis à La Pommeraie.

La «maison clou», Repaire d’urbexeurs. La Pommeraie n’a pas échappé à l’objectif de Dominique Hermier. Depuis dix ans, ce photographe et urbexeur (contraction anglophone d’explorateur urbain) sillonne la France et la Belgique à la recherche de lieux abandonnés à explorer. Il compte à son palmarès une centaine de visites effectuées au hasard des petits villages ou en ayant enquêté sur certains lieux en amont. «L’urbex est une passion qui peut vite être dangereuse, rappelle le photographe qui ne sort jamais seul. On ne sait jamais sur quoi on peut tomber dans les vieilles bâtisses. Il faut être très prudent et ne pas se rendre dans ce genre d’endroits la nuit.»

Dominique Hermier se souvient de son passage dans la maison d’Arnières-sur-Iton, qu’il surnomme «la maison clou, parce qu’elle est plantée dans un champ de façon étonnante, comme un clou au milieu d’une planche». Il s’en est servi comme décor «pour des photomontages artistiques avec un modèle». À l’époque, il n’y avait pas de barrières autour de la propriété.

Si le photographe s’est aventuré dans les entrailles de la bâtisse, il n’a en aucun cas senti de «présence» pendant son périple. Cette maison, vouée à être détruite, a pourtant fait écho, dans son esprit, à un autre endroit chargé d’histoire, «le cimetière des fous, dernière l’hôpital de Navarre, qui sera lui aussi enfoui sous la déviation sud-ouest». Lolita BLASSIEAUX