Cette page traite d’un lieu abandonné (aujourd’hui disparu) apparaissant dans le film «Carnival of Souls» (1962). C’est après avoir lu une critique dans le magazine Télérama que je l’ai vu. Je ne sais pas si c’était la première fois que ce film était diffusé à la télévision, mais dans mon cas je le vis sur Arte, à minuit : un horaire parfait ! Ayant découpé et collé la critique de Télérama dans mon agenda de Terminale, c’était en 1997 ou 1998. Ci-dessous, deux affiches de ce film, assez différentes l'une de l'autre. La version française de ce film a pour titre "Le Carnaval des Âmes". Voici les pages Wikipedia du film : Anglais / Français.

Visitant déjà quelques lieux abandonnés à cette période, je fus aussitôt fasciné par «Carnival of Souls» pour une raison bien précise : à deux reprises dans le film l’héroïne explore un fascinant parc d’attraction à l’abandon. Ajoutez à celui une musique bien angoissante (et très datée, aussi, il faut le reconnaitre) et vous avez une idée de pourquoi ce film m’a marqué. Ci-dessous, deux versions de l'affiche du film :







Remarque 1 : Les informations présentées sur cette page proviennent beaucoup de la page Wikipédia du lieu où fut tourné «Carnival of Souls» : une station balnéaire nommé «Saltair». Les images et la vidéo (visible plus bas sur cette page) proviennent du DVD Criterion du film, contenant des bonus très intéressants.

Remarque 2 : Selon les époques, la station porte le nom de «SaltAir» (avec un A majuscule), «Saltair Resort», ou «Saltair Pavilion». Il faut savoir qu’il y a/eut trois stations balnéaires distinctes, «Saltair I», «Saltair II» et «Saltair III», toutes localisées sur la rive sud du Grand Lac Salé en Utah, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Salt Lake City. Le lieu qui apparait dans le film de 1962 est «Saltair II». Les trois stations ne portèrent jamais officiellement de numéros, mais je les nommerai ici de cette façon (comme sur Wikipédia) pour savoir de quelle station l'on parle. Ci-dessous, les trois stations balnéaires, dans l'ordre. Commençons par le commencement, avec «Saltair I» :




Planifiée en 1892, la station balnéaire «Saltair I» appartient conjointement à une société associée à «L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours» (sous le nom de «Saltair Beach Company») et à la «Salt Lake & Los Angeles Railway» qui est fondée dans le but de desservir la station. «Saltair I» n’est pas la première station balnéaire construite sur les rives du Grand Lac Salé, mais elle sera celle qui aura le plus de succès. Ci-dessous, une illustration du projet datant de 1892, la carte du site, et le lieu en construction (1892/1893).








Bel exemple d’architecture néo-mauresque du XXème siècle, le pavillon est achevé et inauguré le 8 Juin 1893. Dessinée par l’architecte Richard KA Kletting, la station balnéaire repose sur plus de 2500 poteaux et pilotis, dont beaucoup subsistent et sont encore visibles. Elle est dès le début conçue comme une réponse à Coney Island (New York) «mais mieux fréquentée» (selon les Mormons) que la station balnéaire de Garfield, située non loin de là (voir carte ci-dessus). «Saltair I» est l’un des premiers parcs d’attractions, et durant un certain temps la destination familiale la plus populaire à l’ouest de New York. Ci-dessous des images de ce premier Saltair. Sur la première image on voit des échaffaudages (à droite) qui étaient présents le jour de l'inauguration.












La natation était évidemment l'attraction principale de «Saltair I». On pouvait y louer des tenues de bain et des serviettes. Sur le DVD Criterion figure une anecdote rapportée par le «Salt Lake Tribune» de l'époque : «Un dimanche, deux jeunes hommes allèrent se baigner à Saltair sans porter une tenue de bain appropriée. Ils furent condamnés à 30 jours de prison.» (13 Juillet 1897) Ci-dessous des photos et illustrations datant de cette époque :


















































Ci-dessous, des danseurs en 1914 :



Les Mormons vendent le site en 1906. En Avril 1925, un incendie se déclare dans l'attraction nommée "Ali Baba's Cave" et emporte le pavillon principal. Les pompiers mettent 26 heures à éteindre l'incendie. C'est la fin de «Saltair I». Ci-dessous, deux photos de l'incendie :








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Suite à l’incendie, une nouvelle station balnéaire est construite au même endroit. «Saltair II» est plus grand que son prédécesseur, mais plusieurs facteurs l’empêchent d’atteindre le succès de «Saltair I», à commencer par la Grande Dépression, mais aussi par une nouveauté : le cinéma. L’apparition de salles de projections en ville (donc plus proches des gens) brise la routine «d’aller à Saltair» (située à une vingtaine de kilomètres de Salt Lake City) pour les voir. Ci-dessous, «Saltair II» en construction au Printemps 1926, un an après l'incendie de «Saltair I»:




Avec sa nouvelle piste de danse immense (la plus grande du monde à l’époque) «Saltair II» est à l‘époque plus connue comme un immense dancing, le parc d’attraction devenant secondaire. Et bien que des films y sont diffusés, ceux-ci n’ont plus le même pouvoir d’attraction qu’avant. Comme expliqué dans le paragraphe précédent, les gens vont désormais au cinéma en ville, près de chez eux. Ci-dessous trois photos du site en 1926 :






Ci-dessous des photos allant à priori de 1926 à 1931 :























L'autre facteur de l’insuccès de «Saltair II» est son emplacement : la station est située sur la route allant de Salt Lake City à la vallée de Tooele puis Skull Valley, qui à la fin des années 1800 abritait Iosepa, une importante communauté de mormons polynésiens. Saltair (première ou deuxième version) était donc une aire de repos majeure pour ceux et celles qui voyageaient à cheval ou en chariot. Mais lorsque «Saltair II» fut construit, ce flux avait disparu en raison de l’apparition des automobiles, des bus et autres services de trains de la vallée de Tooele. Autre facteur de déclin : l’abandon progressif de la ville d’Iosepa aux alentours de 1917. Autre facteur de déclin (décidemment) : les vents chargés de sel attaquent le bois impliquent un entretien constant.

La survie de «Saltair II» est donc déjà compliquée lorsqu’un nouveau malheur, physique cette fois-ci, frappe le lieu en 1931 : un incendie cause plus de 100.000 dollars de dégâts (100.000 Dollars en 1931 = 2 Millions de Dollars en 2023). Deux ans plus tard, 1933, nouvel incendie. A cette époque le recul des eaux est tel qu’un chemin de fer miniature est construit pour transporter les baigneurs entre la station et le lac (ce nouveau chemin de fer s'ajoute à celui, déjà existant, qui achemine les voyageurs de la rive du lac à la station). «Saltair II» ferme durant la Deuxième Guerre Mondiale (1939), puis est rénovée et réouverte après la guerre (1945) mais la situation n’ayant pas changé (concurrence des cinémas, moins de voyageurs) elle doit fermer ses portes en 1958. Ci-dessous une photo datée de 1947 - Centaire de l'Utah - puis trois datant des années 50 :










En Janvier 1959 «Saltair II», inactif, devient la propriété de l'Utah. Ci-dessous, le site en 1960 :



Au début des années 60, c'est en passant devant «Saltair II» à l'abandon que le réalisateur Herk Harvey a l'idée du film «Carnival of Souls». En 1962, quatre années après la fermeture du site, deux séquences du film y sont tournées. Ci-dessous, des captures tirées de la première séquence du film ou «Saltair II» apparait. Les images ci-dessous ne spoilent rien à propos de l’histoire :


























Ci-dessous des captures de la deuxième séquence. Attention, SPOILER !
Ces images dévoilent une partie de la fin du film. N’hésitez pas à scroller !



















Ci-dessous, deux photos de cette deuxième séquence, tirées du DVD Critérion :



Ci-dessous une vidéo montrant les deux séquences filmées à «Saltair II» mises bout à bout. Comme pour les images ci-dessus, SPOILER ! Ces images dévoilent en partie la fin du film. Ne lancez pas la vidéo si vous tenez à vous garder la surprise.

 


En 1968 les Beach Boys viennent à «Saltair II» pour un shooting photo. Une des images prises ce jour-là (ci-dessous) servira bien des années après lorsque sortira en 1999 l'album bootleg «Beach Boys Unsurpassed Masters, Vol. 19». Un article au sujet de cette séance photo ici : ARTICLE




Peu de temps après la sortie du film des tentatives sont lancées pour redonner vie à «Saltair II» mais deux nouveaux incendies surviennent. Un premier incendie en septembre 1967 détruit le hall, la porte d’entrée, des stands et autres structures de soutien, tandis qu'un deuxième, en novembre 1970, allumé au centre de la piste de danse, détruit le pavillon principal. C’est la fin de «Saltair II». Ci-dessous une photo d'un de ces incendies.






La proximité de l'Interstate 80 (ainsi qu'une nouvelle expansion de la population dans la vallée de Tooele et l'ouest de la vallée du Lac Salé) incitent à construire un troisième Saltair en 1981. Le nouveau pavillon, situé à environ un mile à l’ouest de l’original («Saltair I») est construit à partir d'un hangar d'avion provenant de la Hill Air Force Base. Le lieu ouvre en Juillet 1982.

Une fois de plus, le lac est un problème : si auparavant les eaux reculaient trop et rendaient l’accès à l’eau difficile depuis le pavillon (souvenons-nous de «Saltair II» et son chemin de fer construit pour transporter les baigneurs entre la station et le lac) cette fois-ci c’est l’inverse : des crues ont lieu, inondant le complexe seulement quelque mois après son ouverture. Puis les eaux reculent années après années, et le site subit le même sort que «Saltair II» : érosion des pilotis, accès au site difficile car surélevé…

Sortie en 1991, la chanson «Palace of the Brine» («Palais de l'Eau Salée» ou «Palais de la Saumure») des Pixies est écrite en référence à Saltair. Elle parait sur leur album «Trompe le monde». En voici les paroles, si vous voulez écouter le chanson, c'est par ici.


In a place they say is dead
In the lake that's like an ocean
I count about a billion head
All the time, there's a motion
Palace of the brine
Palace of the brine
I saw the cloning
Of the famous family
I hear the droning
In the shrine of the sea monkey
Palace of the brine
Palace of the brine
Beneath reflections in the fountain
The starry sky in Utah mountains
They are swimming happily
Can't you see?
A life that's so sublime
Palace of the brine

Dans un endroit qu'ils disent mort
Dans le lac grand comme un océan
Je compte environ un milliard de têtes
Tout le temps, il y a un mouvement
Palais de la saumure
Palais de la saumure
J'ai vu le clonage
De la célèbre famille
J'entends le bourdonnement
Dans le sanctuaire du singe marin
Palais de la saumure
Palais de la saumure
Sous les reflets de la fontaine
Le ciel étoilé dans les montagnes de l'Utah
Ils nagent joyeusement
Tu ne vois pas ?
Une vie si sublime
Palais de la saumure



En 1991 sort le film «Neon City» (ou «Anno 2053» en Italie, ou «Neonski Grad» en Serbie). Le premier quart de ce film est tourné à «Saltair III», dont on ne voit que l'extérieur. Le lieu est-il toujours actif à cette période ? Difficile à dire. Ci-dessous, une des affiches du film, montrant un Saltair différent de celui du film...




Ci-dessous, les plans où «Saltair III» apparait :





















Selon Wikipédia des concerts et d'autres événements ont lieu à «Saltair III», ce qui est à priori validé par le DVD Criterion qui dit qu'à l'Automne 1992 le site est racheté par la «Great Salt Lake Land Company», qui y fait installer les six mois suivants une scène pour de futurs concerts. L'ouverture se fait le 8 Juin 1993 (pour fêter les 100 ans de Saltair) mais à priori le projet tombe rapidement à l'eau puisque le site apparait (le temps d'une très courte séquence) à l'abandon la même année dans le film «Josh and Sam». Ci-dessous, trois images tirées du film :





On trouve sur le DVD Critérion de «Carnival of Souls» un reportage tourné en 1999 montrant ce que sont devenus les lieux apparaissant dans le film (église, station service, maisons etc). «Saltair III» apparait le temps de trois images, non datées. Sur la première image ci-dessous à gauche on voit un bateau à roues à aube. Il apparait dans le film «Neon City» (à droite) vu plus haut. La dernière image (en noir et balanc) montre le lieu très probablement à l'abandon, et subissant une crue.







En 2005 plusieurs investisseurs de l'industrie de la musique se regroupent pour acheter le bâtiment. Des concerts réguliers y ont lieu. Aujourd'hui, toujours selon Wikipédia, des restes du passé de Saltair sont encore visibles depuis l’autoroute. Récemment, on pouvait encore voir le squelette du wagon «502», l’un des wagons interurbains de la «Salt Lake, Garfield & Western». Celui-ci se trouvait à côté des ruines de ancienne centrale électrique qui alimentaire les lumières et les montagnes russes à l’entrée du premier Saltair. Le wagon «502» fut retiré le 18 Février 2012 par son propriétaire pour des raisons de sécurité.

Le Salt Lake, Garfield & Western existe toujours en tant que chemin de fer d'intérêt local, fournissant un service de commutation dans la région de Salt Lake City. Cependant, les pistes n'atteignent plus la station elle-même. Des rangées de pilotis serpentant vers le lac sont tout ce qui reste du chemin de fer à chevalets et de la jetée qui menait autrefois à Saltair. Ci-dessous, une vue Street View de «Saltair III» en 2015. Lien Street View / Lien Google Maps




2016 : «Saltair III» apparait dans le clip de la chanson «Stay» de «Mac Miller». Enfin, «apparait» est un bien grand mot, disons que le clip est tourné non loin de là, et à 2'45 on aperçoit furtivement «Saltair III» au loin. Ci-dessous, une capture d'écran. Le clip est ici : YOUTUBE

Ci-dessous, en bonus, la page de mon agenda de Lycée (1997/1998) où j'ai collé la critique de Télérama. Juste après le scan de cette page, la critique de Télérama en ligne sur leur site. Attention, risque de SPOILER !