Le soleil tape bien fort en cette journée. Faire des photos par un temps aussi ensoleillé me fait toujours un peu peur à cause des forts contrastes entre les zones éclairées et les zones sombres. Qu’importe, le lieu s’annonce tout de même fantastique, alors ne trainons pas et tentons de ramener la meilleure matière possible. Vanessa et moi laissons la voiture au bord de la route et empruntons un chemin de terre bien poussiéreux...



Après quelques minutes de marche, le bâtiment montre le bout de son nez. Avançant prudemment, nous découvrons le petit accueil ainsi qu’une curieuse petite machine à vapeur bien rouillée juste à coté. (Si vous savez à quoi servait cet engin, n’hésitez pas à me le dire). Ne m’ayant pas trop renseigné sur la nature du lieu que nous venons visiter (j’aime bien me laisser des surprises) je sais vaguement que c’était une station thermale. Et que le mot «radium» figure dans son nom de manière très officielle. Pourquoi du radium ? Je me dis que je verrais ça après la visite en faisant des recherches sur Internet. (Rendez-vous après la visite, j'y raconte tout en détails.)











Message d'un lecteur reçu suite à cet article : "La machine à vapeur est une très vieille batteuse. Je ne pense pas qu'elle pouvait se déplacer de manière autonome, sans doute amenée de champs en champs par traction animale. En gros, c'est un moteur fixe à vapeur, sur lequel est fixée une poulie qui entraîne différentes sangles/bandages, reliés à différentes machines: batteuse, lieuse... Cela doit dater des années 1885/1910, on en voit souvent lors de démonstrations de moissons à l'ancienne.La machine est incomplète, voilà à quoi ça ressemble en état de marche." Merci pour l'information !

Nous arrivons alors à l’entrée du site, et, surprise, nous entendons des bruits de tronçonneuse, ou de débroussailleuse. Regardant autour de nous, nous constatons que l’herbe autour des remparts est coupée. Les bâtiments sont également tous plutôt propres (pas de tags, pas de signe de dégradation volontaires…) Le site aurait-il été racheté ? Est-il en cours de rénovation ? Avançant à pas feutrés, nous apercevons deux ou trois ouvriers, ainsi qu’un homme qui semble être le patron. Tout le monde est occupé à tailler des palmiers et à couper des hautes herbes. Une grosse voiture est garée sur place ainsi qu’une camionnette.





Nous avançons vers le patron et engageons la discussion, exposant clairement (et en anglais) la raison de notre présence : «Bonjour, nous sommes français, est-il possible de faire des photos ?» L’homme nous répond alors (en français) : «Oui, mais… Faites attention, c’est dangereux.» Soulagés à l’idée que nous puissions évoluer à notre guise sur le site, nous continuons tout de même la discussion, car si des ouvriers sont là et entretiennent le lieu, c’est qu’il a été racheté, et si il y a bien une chose que j’adore, c’est connaitre l’histoire des lieux de la bouche même des gens qui s’en occupent.

L’homme nous raconte alors très gentiment que c’est son frère qui a en fait racheté le lieu, et qu’il s’est allié à ce dernier pour rénover le site et en faire un «hôtel de luxe». Voyant l’état des bâtiments autour de nous, nous nous disons que ça risque de prendre vraiment beaucoup de temps… Mais pourquoi pas ? Nous apprenons également un peu plus de choses quant à la fonction du lieu. J’en parle après la visite.

Remerciant l’homme de nous laisser faire des photos, nous explorons un premier (petit) bâtiment, un peu en ruine mais pas trop comparé au grand bâtiment que nous verrons plus loin. L’architecture rappelle par endroits le moyen-âge (mauresque) avec ces créneaux, à d’autres l’antiquité grecque (colonnes, décorations). L’intérieur des pièces est plutôt en bon état, enfin disons que pour un lieu aussi en ruine je m’attendais à voir d’immenses trous dans le sol, un état catastrophique etc.

























Chemin faisant, nous passons devant une autre structure assez mal en point. D’ici, le point de vue sur la station est réellement fantastique pour tout amateur de ruines. Du gris, un ciel bleu, de la végétation, que demander de plus ?





Poursuivant notre ascension, la grande cheminée aperçue à l’approche du site se fait de plus en plus précise. Servait-elle à chauffer l’eau circulant sur le site ? Ou était-ce tout simplement la cuisine ? A mesure que nous marchons, nous pouvons mieux contempler la façade à moitié ravagée du bâtiment principal. Voyant l’étendue des dégâts (dus aux intempéries ? au temps qui passe ?) je me dis que si réhabilitation il y a, elle risque de prendre énormément de temps (sans même parler d’argent).





Avant de pénétrer dans l’immense bâtisse, je tourne ma tête sur la droite et prends le temps d’admirer les colonnes joliment décorées. Tout cela est vraiment dans un triste état.

La première pièce dans laquelle nous entrons était l’ancienne cuisine comme en témoigne un minuscule morceau de carrelage (azulejo) encore collé au mur. Depuis cette pièce, une porte donnait sur une autre salle, un peu plus grande, dans laquelle étaient servis les repas. J’imagine que vue la taille du site il devait y avoir d’autres endroits où manger, mais c’est difficile à dire. Voici des photos de ces deux premières pièces, très photogénique avec ces beaux piliers, ces jolies arches, ces grosses pierres, et le toit en mauvais état qui crée une ambiance sympa tout en rayures :



















Une fois la visite de ces pièces terminée, j’aperçois un passage menant à l’intérieur de la carcasse (il n’y a pas d’autres mots) qu’est le grand bâtiment. Impossible d’y monter, il n’y a plus rien. Reste juste l’enveloppe, une belle enveloppe, me rappelant un château en ruines visité en Ecosse. La végétation poussant en bas de cette immense «fosse» est assez fascinante, on a là un beau contraste entre la nature, la pierre, le ciel plus haut…





Juste à droite de la grande fosse, je découvre un escalier menant à un niveau inférieur. De part et d’autre, outre le joli plafond, j’aperçois des nids d’hirondelles (ou d’abeilles ? pas sur). Avant de descendre je fais d’autres photos de la belle pièce à la cheminée.









Ce que je découvre après avoir descendu l’escalier (croisant au passage deux chauve-souris) est fascinant : sous mes yeux se dessine une salle de taille moyenne au plafond vouté, presque comme si elle avait une fonction religieuse. Au fond, un petit passage sur la droite ne laisse plus aucun doute sur la fonction de la salle : nous sommes à la source. L’eau arrivait par le trou sur la droite, puis était dirigée au milieu de la salle via un creuset bien visible. Le tout était acheminé par la grande fosse verte située juste après. Sachant que le mot «radium» figure dans le nom du lieu, j’imagine qu’il s’agit là d’une source d’eau à forte teneur en radium. Combien exactement ? Aucune idée, mais l’eau coule toujours, droit vers les ronces tapissant le fond du bâtiment principal. Idéal pour la végétation !









Une ouverture permet de sortir de la salle de la source et de faire le tour d’une autre partie du bâtiment principal, très mal en point elle aussi, mais dont les planchers sont toujours là. Le sol est dans un état catastrophique, et évoluer ici fait un peu peur, du coup nous ne nous attardons pas trop et faisons le tour du lieu.







La visite étant terminée, nous rebroussons chemin et repassons par l’entrée menant à la salle de la source. En sens inverse, la vue est magnifique, admirez-moi ce lierre, ce balcon, ces fenêtres, c’est vraiment sublime.

Refaisant ainsi tout le chemin en sens inverse, nous repassons dans la belle cuisine et sa cheminée et admirons encore une fois cette immense carcasse de pierre offerte au soleil.





Avant de quitter les lieux, nous retrouvons le patron et ses ouvriers, et le remercions encore de nous avoir laissé évoluer à notre guise sur le site. Il aurait très bien pu nous mettre dehors (pour des raisons de sécurité il aurait même du le faire, en fait) mais au lieu de ça il nous a appris l’histoire du lieu, ce qu’il comptait en faire, tout cela alors que nous ne devions pas être les premiers à venir sur place. Merci à lui. Et maintenant, un peu d'histoire !

Avant de parler du lieu en lui-même, on va parler un peu de radioactivité, et plus précisément de radium. Le Radium, découvert par Pierre et Marie Curie (ci-dessous) en 1898, est un élément chimique appartenant à la famille des métaux alcalino-terreux. Considéré (à l'époque) comme bénéfique pour la santé, la présence de radium dans l'eau fut considéré comme un facteur important dans son application thérapeutique.



Le lieu que je vous ai présenté plus haut est situé au Portugal, plus précisément à Caria, et porte le nom de "Termas de Águas Radium" ("Thermes des Eaux Radium"). La légende raconte qu'un certain Comte Espagnol ("Dom Rodrigo") serait venu sur place guérir sa fille d'une grave maladie de peau puis aurait fait construire l'établissement thermal par-dessus la source. Cette légende est évidemment non-datée et difficile à vérifier. Ce que l'on sait via des documents officiels d'époque, c'est que de l'uranium et du radium étaient extraits des carrières voisines par une compagnie Française, la "Société Française d'Uranium et Radium", et ce depuis 1910. la matière était acheminée jusqu'à Paris et utilisée par Marie Curie dans son laboratoire.

En 1922, l'exploitation de la source de Malhada, Chão de Pena et Favacal est accordée (à qui, je n'ai pas réussi à le savoir). Ces trois sources furent apparemment renommées "Curie 1, 2 et 3". L'homme que nous avons rencontré sur place nous a dit que Marie Curie était venu sur place à l'époque soigner sa fille. Cette anecdote est peut-être vraie, ou tout simplement une variante de la légende du Comte Espagnol venu soigner sa fille. En tout cas c'est très probablement en 1922 que débuta la construction des thermes (qui comportent également un hôtel). En 1923 on sait que l'exploitation de l'eau est accordée à l'Espagnol Enrique Gonsalvez Fuentes, puis de 1929 à 1940 c'est la société Anglaise "Termas Radium SARL" qui gère le complexe. Ci-dessous, une carte postale. Le site possedait 90 chambres, 12 salles de bains, et la possibilité d'accueillir jusqu'à 150 pensionnaires.

Concrètement, l'eau radioactive était ainsi utilisée dans les spas, et censée traiter les problèmes de rhumatisme, de goutte, d'hypertension artérielle, d'œdèmes, d'insuffisance circulatoire, d'hypertension, de reins, de troubles gastro-intestinaux et alimentaires. Avec l'exploitation des sources, les spas ont commencé à commercialiser de l'eau en bouteille, qui en 1927 au congrès de Lyon était considérée comme l'une des eaux les plus radioactives du monde. Ci-dessous, "L'eau de radium donne la santé, la vigueur et la force".

Ci-dessous, des images du lieu lorsqu'il était en activité.











Ci-dessous une peinture représentant le lieu en 1934 peint par un certain "Lyte". Un tableau en vente ici !



La Seconde Guerre Mondiale et les effets dévastateurs de la Bombe Atomique sonnèrent la fin de la "fièvre radioactive" (bien que dès 1936 la publicité pour les produits à base de radium étaient déjà interdits). Dans un rapport daté de 1947, on apprends que les thermes étaient fermés depuis 1936. L'établissement thermal aura donc fonctionné en tout et pour tout 14 ans.

En 1951 la concession est accordée à la Société Portugaise de Radium, exploitant la partie hôtelière du site, mais celui-ci fait faillite, la peur de la radioactivité étant trop forte. De 1954 à 1955 le directeur arrache tout ce qui est métallique (robinets, douches, tuyaux, accessoires de la grande cuisine) pour le revendre à Lisbonne. Les activités minières auraient cessé en 1961.

A une année inconnue le lieu est racheté par Ramiro Lopes, un résident de Panasqueira, qui le revend ensuite en 2000 à son frère, Antonio Lopes (l'homme que nous avons rencontré sur place). Le projet est de convertir le lieu en "hôtel cinq étoiles avec un parcours de golf de 18 trous et deux villages touristiques avec 146 villas." Ci-dessous, une image du projet.

J'ai reconstitué l'histoire de ce lieu grâce à ces deux sites : restosdecoleccao et lusitaniaeitinera.


Sur Internet on peut trouver un reportage intitulé "Abandonados" (2014) consacré à ce lieu. Grâce à l'aide d'Amandio (que je remercie très chaleureusement) j'ai pu avoir une retranscription de ce que l'on peut y apprendre.



Pour commencer, l'établissement a une réputation d'hôtel "maudit", et il est dit que c'est "la même eau qui apporta la richesse puis la malédiction". Nous rencontrons alors Manuel Roque, dont le père travaillait sur place lorsque le lieu était actif. Manuel allait souvent en cuisine, il y avait là des œufs, des poulets... Manuel s'amusait à explorer l'hôtel en suivant les femmes de chambre qui faisaient les draps. Il se cachait de temps en temps dans les placards pour s'amuser... A l'époque il y avait une compétition entre les différents établissements à celui qui aurait l'eau la plus radioactive (l'eau était vendue comme un médicament). Enfant, Manuel ne savait rien de tout ça, il dit juste qu'un jour l'eau fut interdite à la vente et que c'est là que l'on se rendit compte qu'elle n'était pas si "bonne". Une fois adulte Manuel loua une chambre sur place pour son mariage (donc à priori à la fin des années 40 ou début des années 50, lorsque le lieu était en fin de vie).


Par la suite l'Archéologue Municipal (Marcos Osorio) nous présente une bouteille qu'il a trouvée au fond d'un puits lors d'un chantier de réhabilitation, au milieu de restes de céramiques et de faïences. C'est une des bouteilles que l'on voit sur la publicité plus haut.


Le reportage en dit un tout petit plus sur le fameux Comte Espagnol qui fit construire l'hôtel. La vidéo nous dit que c'est en chassant dans les environs (nous ne sommes pas loin de la frontière avec l'Espagne) qu'il tombe sur la source, et qu'on lui dit qu'elle "faisait des miracles". Il rapporta de l'eau à sa fille malade, et lorsque celle-ci guérit, décida de faire construire l'établissement thermal. Ce que le reportage nous dit (Dom Rodrigo rapporte de l'eau à sa fille) est donc différent de ce que la légende "officielle" dit, à savoir qu'il amena sa fille sur place. Comme bon nombre de légendes, il n'y a pas de sources confirmant l'une ou l'autre version. Autre curiosité, le reporter dit que ça ne serait pas exactement Dom Rodrigo qui fit construire le lieu, mais un certain "Comte Songato", que mes recherches n'ont pas permis de retrouver la trace.

Antonio Lopes est ensuite interviewé dans le reportage. Qui est Antonio Lopes ? Tout simplement l'homme que Vanessa et moi avons rencontré. Dans ses propos, Antonio Lopes parle de faire construire un golf, et que si celui-ci marche bien, cela financerait les travaux de réhabilitation du lieu. Le documentaire date de 2014 et notre visite date de 2018 : pas de "Golfe de Sortelha" sur place 4 ans après...


Enfin, Sandra Soares, de l'Université de Beira Interior, est interviewée dans la salle de la source. Sandra Soares nous dit que l'eau au radium est gazeuse, inodore et incolore. Nous apprenons que les USA ont décrété que niveau radioactivité une eau ne devait pas dépasser 11 Becquerels. Après prélèvement, l'eau de la source est de 112Kb, c'est à dire 112.000 Becquerels. Pour autant cette eau est-elle dangereuse ? Toujours selon Sandra Soares, aucun moyen de le savoir, que ce soit bon contre les maladies, ou dangereux pour l'homme. J'ai contacté la Criirad pour en savoir plus sur les résultats du prélèvement, j'attends leur réponse.




En guise de conclusion, le reportage donne un postulat assez clair sur la fermeture du site : l'eau au radium n'est ni bonne ni dangereuse - selon le documentaire - mais après Hiroshima et Nagasaki les gens ont eu peur (à raison) de tout ce qui était radioactif, ce qui entraina une désaffection du site, qui dut mettre la clé sous la porte faute de clients. Ci-dessous d'autres images tirées du reportage. Encore merci à Amandio pour son aide !