Important : Pour des raisons de confidentialité, de conservation, de sécurité (etc) je ne donnerais pas la localisation de cet endroit. Merci de votre compréhension.


Tout commence à la Journée des Plantes de Chantilly en septembre 2023. Invité par Vanessa je recroise sur place Romain et Thibault, rencontrés lors d’une précédente édition. Discutant d’exploration urbaine, Thibault me dit qu’il a récemment visité une maison abandonnée qui pourrait me plaire. Notant l’adresse dans mon smartphone, je reviens quelques semaines plus tard à l’adresse indiquée.

J’avais vu sur Google Maps que la maison était minuscule, mais je ne pensais pas qu’elle le serait à ce point. Point de vue accès, il suffit de s’engager via le portail, ouvert depuis assez longtemps pour que l’herbe et les ronces l’aient figé dans le sol. L’accès est-il donc si simple que ça ? Il semble que oui. Mais qui dit accès simple dit potentiellement nombreux visiteurs, donc peut-être des dégâts, du vol etc. Pour autant, Thibault m’a dit qu’il y avait encore beaucoup de choses à voir sur place. Avançant prudemment dans les herbes folles j’arrive en vue de la maison. Le lieu étant situé en pleine ville, je vérifie que personne ne m’a vu entrer (on ne sait jamais), je fais une première photo, puis je m’engage dans ce qui ressemble plus à une petite bicoque qu’à une «vraie» maison.






Pas besoin de pousser la porte d’entrée, elle est déjà ouverte. Je vois même qu’il sera difficile de la refermer car du lierre au sol l’empêche de bouger. Bon, laissons-là ouverte. L’aspect désolé du portail combiné à cette porte ouverte depuis longtemps me fait penser que ce lieu est à l’abandon depuis bien longtemps, je dirais une dizaine d’années ? En comparant les vues Street View je vois qu’en 2011 le portail était visible et la maison avait l’air occupée (ce qui est difficile à prouver, mais le portail était en tout cas fermé) mais dès 2012 tout est recouvert de végétation. Et c’est entre 2018 et 2019 que le portail est réouvert, pour ne plus jamais être refermé.

Le toit de tôles transparentes permet à la faible lumière du jour d’éclairer l’entrée. Une entrée par ailleurs exigüe, où il faut faire attention en se déplaçant sous peine de faire tomber des choses au sol. Un peu partout, des toiles d’araignées, des objets, du mobilier, tellement de choses qui prendraient un temps fou à décrire. Ce lieu me fait penser à la Maison Cherry, ou encore la Maison Toildaraignix, où là aussi il y avait tellement d’objets que je ne savais plus où donner de la tête. Une vieille poupée Père Noël, une boite d’infusions Florazur (qui à priori date des années cinquante) et d’innombrables bibelots sont visibles à près partout où le regard porte. A un moment je tombe sur un courrier mentionnant le nom de l’ancien propriétaire. A priori il serait décédé en 1989. Raccorder les wagons avec les images Street View n’est pas simple : décès en 1989, portail fermé en 2011, recouvert de végétation dès 2012, réouvert entre 2018 et 2019 et plus jamais fermé depuis…





























Depuis la petite entrée deux solutions s’offrent au visiteur : pénétrer dans la petite salle à manger, où emprunter une sorte de petit porche qui longe le living room. Si nous étions au USA ce serait l’endroit où on installerait un rocking-chair, mais ici il y a tout juste la place de passer devant les fenêtres du living room, tourner au bout à droite, puis ouvrir une porte menant au living-room. Nul endroit où installer une table ou un rocking-chair. Cet endroit de la maison devait avoir un certain charme, mais aujourd’hui il y règne une atmosphère étrange avec toutes ces planches de bois installées (aucune idée de quand) pour empêcher les visiteurs indésirables de rentrer. Visuellement, c’est typiquement le genre de chose que l’on verrait dans un film de zombies.

Le lierre ayant envahi les lieux, certaines ouvertures ne laissent plus passer la lumière, plongeant le living room dans une ambiance bien sombre comme nous le verrons plus loin. Petite curiosité : dans l’angle du porche, accroché à environ deux mètres de haut, une sculpture de hibou (probablement du plâtre) est toujours là, le regard plongé dans le vide. Tentant de bien le prendre en photo, le générique de «Winnie l’Ourson» me vient en tête, avec le passage où «Maître Hibou fait des discours que l'on ne comprend pas toujours…» (Cette chanson m’accompagnera durant toute cette visite.)







Une fois revenu sur mes pas, j’entre dans ce qui était l’ancienne cuisine. A l’image de l’entrée, qui est petite, ici aussi tout est bas de plafond et, pour dire les choses clairement, tout est triste du fait de l’humidité qui devait régner ici quand le lieu était habité. La table centrale et le frigo furent probablement vendus/volés, et le fait que la pièce soit déjà petite lorsque je la visite donne une idée de l’étroitesse de la pièce quand il y avait un peu plus de matériel dedans. Niveau objets, c’est comme pour l’entrée vue juste avant : un peu partout des bibelots, des peluches, des anges, divers artefacts plutôt kitch paraissant assez anciens, ce qui colle avec un décès en 1989.















Un décès en 1989 ? Ca ne colle pas avec cet autocollant posé sur une des vitres de la cuisine, et qui dit «Une vie une ceinture. Sécurité Routière. 1er Décembre 1990 : port de la ceinture de sécurité obligatoire à l’arrière comme à l’avant.» Mais peut-être que cet autocollant fut commercialisé durant l’année 1989 ?

Deux pas plus loin, me voilà dans le salon, aperçu auparavant via le porche vu plus haut. Ici aussi j’ai l’impression qu’il manque du mobilier, à commencer par un éventuel meuble télé, ou une bibliothèque. En effet, quelque chose me frappe : j’ai beau regarder autour de moi, je ne vois pas de livres. D’habitude il y en a toujours quelques-uns, éparpillés, mais ici, rien. A l’inverse, comme pour l’entrée et la cuisine, je retrouve encore d’autres petits objets plus ou moins touchants, témoignant des goûts de l’ancien propriétaire.













Retournant dans la cuisine, une porte me permet d’accéder à ce qui était probablement l’ancienne chambre à coucher. Là aussi je me dis qu’à l’époque où il y avait un lit (si c’est bien dans cette pièce qu’il se trouvait) l’espace devait vraiment être très étroit dans la bicoque. Comme pour le reste de la maison, tout est encombré de bibelots divers, certains bien recouverts de toiles d’araignées. Curiosité : je trouve également des noix ! Bien que j’en sois très friand, je ne touche pas celles-ci, me contentant de les photographier…





















Enfin, la visite de cette curieuse maisonnette se termine par la salle de bain, aussi banale qu’inintéressante. A un moment je me dis que je vais quand même prendre des photos de près de tout ce qui est équipement (brosse à dent, produits hygiénique etc) puis en fait, non, je dois avouer que j’ai un peu la flemme.

Même si la dernière pièce de cette maison n’est pas passionnante, je suis étonné que cette bicoque soit encore aussi «bien» conservée (tout n’est pas éparpillé par terre, pas de tags, pas de dégradations volontaires) alors que nous sommes en pleine ville. Je me rends également compte que je n’ai jamais vu passer de photos de cette maison sur Internet. De part sa petitesse elle ne doit probablement pas intéresser les explorateurs avides de spectaculaire (d’un point de vue architectural ou historique). Ou alors nous (explorateurs urbains) sommes réellement très peu à la connaitre.

Je me dis aussi que si elle est aussi bien conservée, c’est qu’on ne la voit pas depuis la rue, sa petite taille faisant qu’elle est complètement invisible depuis le portail envahi par la végétation. Si ça se trouve les passants ne se doutent même pas que derrière ce portail ouvert il n’y a pas juste un terrain en friche, mais une petite bicoque, contenant encore ce qui reste de la vie de son ancien propriétaire. Quel sera l’avenir de cette maison ? J’imagine qu’elle sera démolie sans autre forme de procès.


EPILOGUE

A la suite de la publication de ce reportage, j'ai reçu un mail très intéressant de Jean-Loik, un témoignage qui peut apporter un éclairage sur comment un lieu se transforme et finit en capsule temporelle comme la maison que vous avez vu sur cette page. Voici son témoignage :

"Mon meilleur ami est issu d’une famille de trois enfants, des gens charmants, le cœur sur la main malgré un niveau de vie assez faible. Ils habitent une petite maison en bois, faites dans les années 50 / 60, pas trop de confort, pas de réelle salle de bain etc (un peu dans le style de la maison figurant sur cette page, mais plus grande). Cette maison est construite sur un terrain en ville dans le 95 où une autre petite maison dans le même style est construite et appartient à un membre éloigné de la famille, un vieux monsieur que j’ai pu croiser et qui est décédé fin des années 90. Après c’est un petit cousin qui venait habiter le week end cette maison de temps en temps.

Le terrain appartient à cette famille éloignée d’ailleurs et aujourd’hui plus personne ne vient dans cette maison. Bref tout ça pour planter un peu le décor qui va avoir son importance Revenons à mon ami : son père décède dans les années 2000, sa mère reste seule dans la maison et vit de son petit travail et de la maigre pension de son mari puis de sa retraite. Les années passent, mon ami et l’un de ses frères partent vivre dans le sud de la France. Il ne reste donc qu’un fils en région parisienne qui s’occupe un peu de sa mère.

L’année dernière, mon ami m’appelle et me dit qu’il va remonter du sud pour déménager sa mère qui part habiter dans un petit logement social à côté de chez lui pour se rapprocher de ses deux fils et des petits enfants. J’habite à 2h30 de route et je lui dis que je viens l’aider pour déménager. Je fais le trajet dans la journée et j’arrive, heureux de revoir mon ami que je ne vois plus car à l’autre bout de la France, et sa mère que je n’ai pas vu depuis longtemps aussi du coup !

Je retrouve cette petite maison où j’ai fait les 400 coups avec mon copain d’enfance et les souvenirs remontent avec émotion… Mais en plus de 20 ans il s’en est passé des choses : maison vétuste, manque d’entretien, pas d’argent, tout se délabre et je comprends que sa mère veuille finir sa vie dans des conditions de vie plus saines, ailleurs.

Dans la maison, toute une vie, des objets, des collections, des affaires personnelles... Dans une petite pièce, son père faisait du modélisme ferroviaire, et c’est d’ailleurs comme ça que nous nous sommes connus et que son fils est devenu mon meilleur copain, un réseau de train prenant toute la pièce, des décors, des wagons, des locomotives…

On charge des cartons dans le petit camion de location, toutes les affaires que sa mère a jugé utile et important de prendre. Le camion n’est pas plein mais elle ne veut pas en emmener plus… Elle laisse derrière elle les trois quarts des affaires. Je suis assez surpris, je ne comprends pas bien je suis un peu dérouté.

Je me retrouve seul à discuter avec mon ami et son frère qui n’habite pas loin, je les interroge sur le fait de laisser tout ça dans la maison à (l’abandon). Le frère qui reste sur place me dit qu’il viendra faire le tri dans les affaires les plus importantes, qu’il va essayer de stocker en lieu sur le maximum de chose qui a encore de la valeur comme la collection de train de son père, les papiers etc…

La maison ne leur appartient pas, elle n’a aucune valeur hormis quelques souvenirs, toutes les choses qui sont dans la maison sont d’un autre temps et sont soit obsolètes soit trop vieilles pour avoir une seconde vie. Elles vont rester là, se charger de poussière, attendre, puis viendra malheureusement le temps des cambrioleurs et des squatteurs.

J’ai vécu ce que tu n’arrives pas à expliquer dans tes récits, cette transition entre la vie et l’abandon. C’est un sentiment d’impuissance terrible qui m’a envahi à ce moment-là : se rendre à l’évidence que tout ça est aussi bien là, à rester ici, dans l’état.

Mon ami m’a proposé de prendre tout ce que je voulais, du train, des outils tout ce qui pouvait me faire plaisir. Je suis reparti avec un seul objet, un objet qui me rappelai son père, des moments passés ensemble sur une même passion, bref un truc qui me pince le cœur à chaque fois que je le croise dans mon atelier ! Ce jour-là, j’avais trop mal au cœur pour fouiller dans tout ça et nous avons tourné la page. C’est une histoire banale mais qui peut arriver à tout le monde." - Jean-Loik