Un peu de Wikipédia en guise d’introduction : «La Fondation Cartier pour l’Art Contemporain a été créée en 1984 par la Maison Cartier et son président Alain-Dominique Perrin. Institution privée entièrement consacrée à l’Art Contemporain. Pionnière, la Fondation Cartier a ouvert la voie au mécénat dans le paysage culturel français en proposant un espace d’exposition aux artistes du monde entier, connus et inconnus. La Fondation Cartier est un espace d’exposition et de création pour les artistes, et un lieu de rencontres avec les publics à travers l’organisation de conférences, de concerts, et de spectacles en relation avec les expositions temporaires. Anciennement située à Jouy-en-Josas (Yvelines), la Fondation Cartier est localisée, depuis 1994, dans le quartier de Montparnasse, 261 boulevard Raspail, à Paris, dans un bâtiment conçu par l'architecte français Jean Nouvel.» Les photos présentées sur cette page furent prises le 3 Septembre 2014 sur l’ancien site de la Fondation Cartier, à Jouy-en-Josas. Aujourd’hui (2020) le site a été réhabilité et n’est plus visitable de la façon dont j’ai pu le faire.

Grâce à la personne m’ayant indiqué cet endroit, je savais déjà un peu ce que j’allais voir sur place, mais une fois sur place ça restait quand même particulier. La visite débute par une zone composée de plusieurs maisons collées les unes aux autres, et formant une sorte de rue. Un sentiment étrange se dégage de cet endroit du site. La sensation d’être un peu surveillé, comme si quelqu’un nous regardait derrière une des fenêtres, comme dans un western. Impression renforcée par l’âge des maisons, qui pourraient servir pour un film de ce genre. Ci-dessous des photos de cette zone.


















A un moment je vois au loin une immense sculpture. Nous la verrons de plus près un peu plus bas...



Ci-dessous, des photos des intérieurs des maisons de cette première zone explorée. A l’intérieur, rien de particulier à part de minces traces de vie passée. Pas de papiers, pas de documents, rien à se mettre sous la dent. Ce vide un peu décevant est un peu compensé par une plaque à un endroit qui renseigne immédiatement sur l’ancienne fonction du lieu, ce qui permet de se faire une idée de la fonction de telle ou telle maison, rendant la visite moins austère. Les couleurs donnent également un peu de vie à la visite.























































Un chemin de graviers monte vers la prochaine zone : le château. Je n’ai aucune idée de son âge mais il semble avoir été réhabilité à l’extérieur, l'état général étant assez bon. A l’intérieur, le lieu a été transformé en sorte d’ancienne école, ou un lieu abritant des séminaires, des conventions... Beaucoup de documents traînent un peu partout, idéal pour se faire une idée du lieu. Rien d'intéressant sauf peut-être un joli (vieux) plan du site peint dans une des salles.

























Au détour d’une fenêtre, je vois un spectacle étonnant : un feu brûle à une centaine de mètres, dans la direction opposée de là d’où je suis venu. Le feu semble brûler depuis un moment, et je me souviens alors qu’en allant de la zone «western» au château j’ai vu une immense pelouse parfaitement tondue : le lieu est donc entretenu - je n’avais même pas fait attention. Et si je croisais quelqu’un, par exemple le jardinier ?



Je n’ai pas trop le temps de réfléchir à tout ça qu’un bruit me fait sursauter non loin de moi. Je vais voir ce qui se passe dans la pièce d’où vient le bruit et voit alors un moineau, probablement apeuré par ma présence, tenter de sortir par une fenêtre malheureusement fermée. Ayant mon appareil en main au cas où je serais tombé sur quelque chose de louche, j’ai juste le temps de rapidement le photographier de loin avant de venir l’aider à s’échapper du château.



Ci-dessous, un dessin fait dans un des placards du château. Par qui ?



Une fois sorti du château je me rends compte que le bâtiment que je comptais explorer juste après (une grande maison) est en fait habité. Je vois des lumières allumées à l’intérieur et une voiture garée. Etant dans une zone complètement à découvert, je me dirige d’un pas rapide vers la prochaine zone en priant pour que personne ne me voit.

Un bruit de scooter se rapprochant derrière moi me file alors une frousse bleue : s’enfuir ? Non. Je ralentis juste le pas, et m’apprête à devoir expliquer ma présence sur place (et être raccompagné dehors, évidemment). Mais ce n’est pas du tout ce qui se passe : le scooter passe rapidement devant moi, à un mètre environ, et continue son chemin. Je salue d’un signe de tête la personne le conduisant : il ne semble pas se préoccuper de moi. Je le vois s’éloigner au loin vers la grille principale.

Ne cherchant pas trop à savoir ce que le conducteur fera par la suite je me dirige rapidement vers la prochaine zone en traversant l’immense pelouse. Durant cette rapide marche, je croise à nouveau l’immense sculpture vue un peu plus tôt, et quand je dis immense, c’est gigantesque. Je reviendrais la documenter plus tard, pour le moment direction la prochaine zone : le bunker. Un bunker, en principe, c’est sous terre. Ici, on dirait un bunker «d’extérieur» tant le bâtiment est massif (un gros pavé) et surtout couvert de lierre au point de complètement le camoufler. Faisant le tour, je trouve une petite entrée, mais pénètre par une autre, assez étrange et basse de plafond. L’utilité de cette entrée ? Aucune idée. Ci-dessous, des photos du bunker vu de l’extérieur.














A l’intérieur du bunker, on va de mystères en mystères : une grande salle haute de deux étages est couverte de trucs et de bidules en tous genre, et pas mal taguée. Sur les côtés, deux escaliers desservent d’autres salles plus petites. Particularité du lieu : il est complètement dans le noir. Aucune fenêtre, aucune ouverture vers le toit, rien. A quoi servait ce lieu ? Durant la guerre, j’ai bien une idée, mais après ? Même en connaissant la fonction du domaine, j’ai du mal à voir à quoi servait cet endroit. En tout cas le fait qu’il soit plongé dans l’obscurité fait que le nom de bunker lui va comme un gant. Et il est pas mal flippant, en fait.















Ajout : après avoir fait quelques recherches, j’ai appris que ce bunker est un «Caesar T750» (Merci Yxelle) Ci-dessous, trois autres bunkers «Caesar T750». La première photo est une maquette :







Une fois sorti du bunker, je me dirige vers l’immense sculpture croisée juste avant. Je n’ai pas pensé à poser devant la sculpture pour donner une échelle humaine, mais si vous regardez bien, on peut voir un escalier métallique en colimaçon incrusté dans la sculpture, ça donne une bonne idée de sa taille. Cet immense morceau semblant tout droit rescapé de la destruction de l’Etoile Noire a de la gueule. J’imagine que lorsque le site a été abandonné, aucune solution n’a été proposée pour la déplacer. Après recherches, cette sculpture monumentale s’appelle «Hommage à Eiffel» et est du sculpteur César. Ci-dessous, une vidéo de 1989 montrant l’inauguration de cette œuvre. (Archive)



Ci-dessous, des photos. L’escalier en colimaçon que l’on voit sur une des photos provient de la Tour Eiffel.









A côté de cette sculpture, quelques ateliers témoignent d’une activité mi-artistique mi-bricolage.













Et c’est ainsi que se termine cette visite. Est-ce que j’ai raté des choses à voir ? Je ne sais pas trop. S’il y avait d’autres choses à voir, une chose est sûre : ce serait l’occasion de retourner poser cette fois-ci devant la sculpture, ou mieux, grimper dessus et prendre une photo du domaine vu d’en haut ? Repartant vers la sortie j’aperçois une petite trottinette. Curieuse image qui clôt cette visite originale.

Juste avant de repartir j’ai une sorte de flash et réalise que je n’ai pas pris en photo l’autre sculpture monumentale que j’ai aperçu de loin à un moment, mais que j’ai oublié de prendre en photo. Revenant sur mes pas, je la prends en photo comme je peux en essayant de ne pas me faire voir par le (probable) gardien que j’ai croisé en scooter un peu avant. «Long Term Parking» est une œuvre monumentale d'art contemporain, édifiée en 1982 par Arman. Il s'agit d'une accumulation par empilement de 59 véritables carcasses d'automobiles superposées les unes sur les autres, coulées dans 1600 tonnes de béton.

Un peu d’histoire grâce à cette page. Le «Domaine du Montcel» (car c’est le nom de ce site) appartenait en 1765 à Pierre Chavanne et se composait «d’une maison, bâtiments, cour, parterre, bois, prés, potager, allées et canaux». Le domaine fut acheté en 1795 par Mr Oberkampf et agrandi à partir de 1805 pour Madame Oberkampf par les architectes Barthélémy Vignon et Thibault. Ils bâtirent l’aile gauche et le perron donnant à la maison l’allure de château. Entre 1807 et 1810, l’écossais Thomas Blaikie transforma le parc. Un Elysée familial fut installé dans une partie du domaine. Une maison dite le Chalet fut bâtie dans le troisième quart du XIXe siècle. Le domaine demeura dans la famille Mallet jusqu’en 1923, il fut acquis par Messieurs Jeanrenaud qui y installa un collège.

Occupé pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’armée de l’air Allemande y construit le bunker de commandement de la 5ème Division de Chasse, prévu pour être un centre de détection et d’interception pour l’ouest de la France. Le 24 Aout 1944 le château est incendié par les Allemands avant leur départ. (Source) Ci-dessous, une vue aérienne datant de 1947. On voit bien le château en état de reconstruction sur la première image (1947). Sur la seconde image (1953) on voit qu’une des ailes (en rose) n’est pas terminée.



Début 2021 je reçois un mail de Mr Chartier, qui était élève sur place en 1951, et qui m'envoie très gentiment des photos anciennes du lieu, ainsi qu'un long témoignage. Je vous invite à le lire ci-dessous :

"J'y ai été scolarisé durant l'année 1950-51 alors que les travaux de rénovation d'après-guerre n'étaient pas terminés. J'avais 14 ans. Les photos, un peu tristes, que vous publiez m'incitent à vous en envoyer de l'époque où j'y étais. Je n'ai pas le souvenir que la discipline y était aussi sévère qu'on le dit, peut-être parce que j'étais très calme et, en tous cas, de mon temps, il n'y avait pas d'uniforme. Mais c'est vrai que le matin on devait aller faire un peu d'exercice dans la partie haute du parc sur le "Parcours Hébert" (simplifié, me semble-t-il).

Concernant le château, d'après le témoignage de Mr Moritz, il était habitable. On y prenait des repas, et "il y avait un (ou plusieurs) dortoir(s) d'environ douze lits situé soit au deuxième étage, soit dans les combles, dans la partie droite du bâtiment."

Les trois frères Jeanrenaud (Charles, Paul et Pierre) originaires de Suisse et de confession protestante, fondèrent en 1923 la célèbre école du Montcel inspirée du modèle anglo-saxon, dans la propriété du Château du Montcel achetée à la famille Mallet. Cette école fonctionna jusqu'en juin 1980, survécut à son incendie le jour de la libération de Jouy pendant la Guerre de 39-45 et accueillit des élèves célèbres tels l'écrivain Patrick Modiano, l'acteur et metteur en scène Jean-Michel Ribes, l'acteur Anthony Delon (fils d'Alain Delon), l'acteur américain Yul Brynner, le peintre-sculpteur Gérard Garouste, l'acteur Jean-Pierre Léaud, le réalisateur Georges Lautner, le journaliste Paul Wermus, le chanteur Michel Sardou et bien d'autres.

Monsieur Charles Jeanrenaud était le directeur. Son frère Pierre était l'intendant et habitait avec son épouse la loge à l'entrée de la propriété. Le chalet était occupé par Madame Paul Jeanrenaud. Je crois qu'elle était veuve ; elle recevait chaque jeudi un groupe de six ou sept élèves qu'elle invitait à prendre le thé. Réception assez formelle (veste, cravate) mais bienveillante où elle nous habituait à la conversation et aux bonnes manières à la façon anglaise des public schools (voir "Good bye, Mr Chips"). Remarque : Paul Jeanrenaud étant décédé en 1939, sa femme était veuve depuis une dizaine d'années à cette époque.

Dans la partie qu'on appelait "la Confédération" (les maisons autour d'une sorte de cour), les classes étaient au rez-de-chaussée et les dortoirs à l'étage. J'ai d'abord été dans un grand dortoir du long bâtiment qui s'appelait "l'Atelier". Je suis passé ensuite dans une des deux chambres mansardées de 3 lits du Pavillon Vert ; au premier étage, il y avait un couple anglais, Monsieur et Madame Fairclough, qui était responsable de nous six. On montait par un escalier couvert extérieur que l'on voit sur certaines de vos photos. Le bâtiment au fond de la cour, après l'Atelier, abritait un théâtre avec un grand balcon. Le bunker était interdit d'accès, mais il paraît que les "grands" s'y aventuraient la nuit.

Je n'ai guère de souvenirs de l'enseignement mais il y avait un jeune étudiant de la Sorbonne (était-il pion ou faisait-il des cours ?) qui organisait un ciné-club très novateur ; on y voyait tous les films du cinéma réaliste allemand des années 30 (Nosferatu le vampire, Metropolis, le Cabinet du Docteur Caligari, le Testament du Docteur Mabuse, M le Maudit, le Golem, et même Extases... plutôt X pour l'époque si on savait interpréter les symboles). Chaque séance était suivie de commentaires et de discussions avec les élèves jusque tard dans la nuit. C'était une découverte pour moi, même si je ne comprenais sûrement pas tout. J'ai appris quarante ans plus tard qu'il était devenu un sociologue assez connu : Georges Lapassade

En plus du ciné-club, la salle de théâtre servait pour des spectacles faisant intervenir les élèves (c'était le principe de l'école) et, en particulier, dans des jeux interactifs, ancêtres des jeux télévisés. Je ne sais pas si c'était le jeune Mr Lapassade, responsable du ciné-club et futur sociologue, qui en avait eu l'idée, mais cela correspondrait assez bien à ses théories pédagogiques et aussi à celles des Jeanrenaud. Je m'en souviens car des élèves étaient désignés au hasard dans la salle pour monter sur scène et répondre à un "quiz" et, une fois, j'en ai fait partie. Or, dès la première question, j'ai été éliminé : «Quel mot français contient les six voyelles (sauf "y") et une seule consonne ?». Je me rappellerai ainsi toute ma vie que c'est "oiseau" !!!

Et puis un souvenir pittoresque : l'un des jeunes pions, qui logeait dans le chalet voisin, suite à un différend sentimental, est rentré une nuit le visage en sang et nous l'avons aidé à faire ses bagages pour qu'il disparaisse avant que les choses ne s’aggravent pour lui... Nous avions l'impression de participer à une grande aventure ! Merci de m'avoir donné cette occasion de retrouver des souvenirs.

Puisque le château n'était pas encore habitable, les seuls bâtiments du petit "village" ne pouvaient pas loger grand monde, raison sans doute pour laquelle la discipline était moins sévère que ce qu'en diront ceux qui y ont été scolarisés ultérieurement, outre que, plus âgés, ils étaient sans doute plus turbulents et moins conciliants. Cela dit, je garde paradoxalement un souvenir de liberté de cette année de pensionnat (à part le sport qui n'était pas mon fort), après les années frugales de guerre dans un appartement parisien et six ans d'éducation assez janséniste dans un collège catholique... Le souvenir des «afternoon teas» dans le salon de Madame Paul ou sur la terrasse du chalet (mais était-ce vraiment du thé ou un jus de fruit ?) est inoubliable.


Ci-dessous les photos envoyées par Mr Chartier, prises en 1951 lors de la fête de fin d'année :





















Ci-dessous, Pierre Jeanrenaud, et à droite, la fiche nécrologique de son frère Paul, mort le 20 Novembre 1939, trouvée dans un journal Suisse. Le troisième frère (Charles) mourut en 1952. (Documents fournis par Victor Moritz.)



D’octobre 1956 à juin 1960 l’écrivain Patrick Modiano fréquente le collège installé dans le château. Il y rencontre Gérard Garouste et y croise Michel Sardou ainsi que Jean-Michel Ribes. (Source) Ci-dessous le domaine en 1967 et 1969. On remarque un terrain de football au centre du parc. Le site est classé le 10 Avril 1967.



Le collège fonctionne jusqu’en 1980, année où le domaine est loué à la Fondation Cartier. Les tombeaux de la famille Oberkampf sont déplacés dans le jardin de la «Maison du Pont de Pierre». Ci-dessous deux vues montrant le domaine en 1987 et 1990. A cette époque, la Fondation Cartier est située sur place. On distingue bien les deux sculptures monumentales.



Dès 1994 la Fondation déménagera à Paris, et le domaine sera en partie délaissé, à part une maison habitée par le gardien (qui est probablement la personne que j’ai croisé lors de ma visite en 2014, et qui n’a pas eu l’air gênée de me voir me promener sur place). Le château devient un centre pour séminaires d’entreprises et évènements. Ci-dessous le domaine en 2014 à l’époque de ma visite, puis en 2016.



Ci-dessous, 2017. Des travaux débutent sur le domaine.

Ci-dessous deux photos prises par Philippe en 2018 et témoignant de la réhabilitation du lieu. Merci !


Ci-dessous deux vues de 2018 et deux vues de 2019 montrant le domaine en chantier.







Au quatrième trimestre 2020, le nouveau site est censé ouvrir… Ci-dessous 4 images trouvées sur un site présentant le projet en cours : https://www.acapace.eu/autres-activites/