Ce cimetière de trains très connu était situé dans le 4ème Arrondissement de Budapest, nommé Istvántelek. Son nom fictif le plus connu était "Red Star Train Graveyard" à cause de l'étoile rouge peinte à l'avant de l'une des locomotives. Si j'en parle au passé et que je ne fais aucun mystère de la localisation du cimetière, c'est car un incendie le dévasta le 16 Avril 2020, et qu'il n'y a donc aujourd'hui plus d'intérêt à s'y rendre pour trois raisons : premièrement, l'intérieur des wagons a brulé, deuxièmement, certains en bois n'existent tout simplement plus, et troisièmement, les plus intéressantes locomotives furent déplacées deux mois avant l'incendie. Nous verrons cela plus loin après mes photos.

Ce lieu était situé dans un des plus importants sites ferroviaires de Hongrie (qui est actuellement toujours en activité). Construit entre 1902 et 1905, un des entrepôts était si large (24.000m²) qu'il était le plus grand bâtiment de Budapest en 1902. Comme de nombreux sites, Istvántelek subit de lourds dommages durant la Deuxième Guerre Mondiale et la disparition des locomotives à vapeur n'arrangea pas les choses.

Dans les années 80, des trains et des wagons furent installés dans un des entrepôts dans le but d'en faire un musée ferroviaire. La collection comportait une MAV 424 (reconnaissable à son étoile rouge à l'avant, et pesant 137 tonnes), un engin appartenant à une MAV 301 (utilisée de 1911 à 1914), deux MAV 326, des wagons Soviétiques datant des années 60 ainsi que des wagons qui auraient transportés des Juifs Hongrois jusqu'à Auschwitz durant l'Occupation Nazie de Budapest. De quoi faire un beau musée, mais le projet tomba à l'eau et l'entrepôt ferma ses portes en 2009.

Par la suite, aucun entretien ne fut apporté, ni aux locomotives, ni aux wagons, ni à la toiture, qui présentait déjà de nombreux trous en 2008 comme nous le verrons plus loin. A partir de 2009, ce lieu devint alors le fameux "Red Star Train Graveyard", et il reçut la visite de nombreux photographes, mais aussi de vandales, de voleurs, de tagueurs etc.

Le 6 Avril 2019, à l'occasion d'un voyage avec des collègues explorateurs, nous visitâmes ce site. Comme écrit plus haut, l'entrepôt était situé sur un site encore en activité, et il n'y avait aucun moyen de le visiter légalement. Il fallut donc y entrer clandestinement à un moment où nous avions le moins de chances d'être vus : ce fut donc à 6h du matin, alors que le soleil n'était pas levé, que l'exploration commença en nous faufilant comme des souris pour être sûrs de ne pas être vus.

Quelques foulées plus tard, nous entrions dans l'entrepôt via une fenêtre ouverte. La luminosité étant trop faible à ce moment, nous fîmes alors un petit repérage le temps que le soleil se lève. Cela nous permit de voir à peu près ce qui valait le coup d'être photographié, ce qui était plus négligeable, pas trop intéressant etc. Ci-dessous, quelques photos illustrant notre arrivée sur place : végétation envahissant le lieu un peu partout, dégradations, traces d'incendies, et une absence criante d'entretien, la toiture partant littéralement en lambeaux. La partie par laquelle nous sommes arrivés comportait-elle d'autres trains et wagons à une époque ? Difficile à dire.

















Les premières machines apparaissent alors. De taille modeste (comparé à ce qui allait suivre), c'est déjà une belle chose que de contempler ces machines silencieuses, à priori complètement hors d'usage après 40 années d'abandon.







Ci-dessous, de nombreuses photos des extérieurs des wagons visibles dans l'entrepôt. Rouille, peinture qui s'écaille, quelques tags, des traces de feu, des vitres brisées... Des gens se sont visiblement fait plaisir ici avant nous.















A un moment, je tombe sur un curieux wagon à bestiaux en bois. La peinture rouge allant bien avec la végétation bien verte poussant à ses pieds, je m'agenouille pour faire une photo. Me relevant, je lis les inscriptions sur le wagon, et, m'attendant à ne rien comprendre (car je ne lis pas le Hongrois) je suis surpris en lisant quelque chose que je sais traduire : "Deutsche Reichbahns", autrement dit "Chemins de Fer Allemands". Je lis aussi le nom d'une ville : "Dresden". Dresde est située à 193km au sud de Berlin, en Allemagne, et à 689 km au nord-ouest de Budapest. Ce wagon a-t-il transporté des Juifs Hongrois jusqu'en Allemagne ?

En postant mon reportage sur le groupe Facebook "Archéologie Ferroviaire" je reçois ce commentaire: "Ce wagon est d'un type trop récent pour avoir été utilisé pendant la guerre. Qui plus est, à la fin de la guerre et la séparation entre Allemagne de l'Ouest et de l'Est, la Deutsche Reichsbahn a continué à exister, c'était la compagnie de l'Est. À l'Ouest fut créée la Deutsche Bundesbahn. Les deux compagnies ont fusionnées après la réunification. La présence d'un wagon DR à cet endroit sur un réseau du bloc de l'Est n'est donc pas incongrue. Qui plus est, la direction de Dresden est la plus proche si l'on tient compte de la route naturelle entre Berlin et Budapest via Dresden, Prague et Bratislava." Ce wagon n'a donc très certainement pas servi à déporter des Juifs. Merci Stéphane pour cette information !





La visite continue en entrant dans un wagon ne payant pas de mine, et se révélant splendide une fois dedans. Sous mes yeux, un couloir dessert une série de compartiments ouverts, chacun comportant une banquette de part et d'autre. Au total, six places par compartiment. Au sol et sur les banquettes, des documents trainent. Ce wagon est-il un des wagons Soviétiques des années 60 comme je l'ai lu sur différents sites ? J'avoue avec regret ne pas avoir pensé à fouiller les documents pour voir si ils comportaient des inscription en Hongrois ou en Russe.





Ci-dessous, quelques intérieurs de wagons vides. Comme on peut le voir, de nombreux wagons sont entièrement en bois, et il y a fort à parier que l'incendie du 16 Avril 2020 ne leur a laissé aucune chance.









Un peu plus, d'autres wagons, mais eux un peu moins vides. Mobilier sommaire, lit, banquette, douche, toilettes, il y a là de quoi s'imaginer l'activité des trains quand ils circulaient. Malgré la facilité d'accès du site, c'est une chance qu'il n'y ait pas tant de tags que ça. (D'autres wagons sont vraiment en mauvais état comparés à ceux-ci.)









Un peu plus loin, superbe surprise : un wagon postal ! C'est un vrai bonheur que de le découvrir et de constater que, même s'il est un peu vide, il reste encore ce qui fait son charme : le mobilier servant à entreposer les lettres. Mais est-ce bien un wagon postal ? La seule inscription relevée sur une des cases (LAKATOK) signifie "cadenas" en Hongrois. Bon, ce n'est peut-être pas un wagon postal en fait... Au fond de celui-ci, des toilettes sont encore là, intactes, dans leur jus, prenant la poussière.







Nous arrivons alors à la partie de la visite qui vaut à elle seule le déplacement : les locomotives. Rouillées, énormes, lourdes, pourrissant depuis une quarantaine d'années, c'est avec un certain respect que l'on se promène autour de ces monstres endormis. Il faut se les imaginer du temps de leur jeunesse : la vapeur, la fumée, le charbon, les sifflements, le bruit de toute cette machinerie... Ca fait vraiment mal au cœur de voir ces mastodontes oubliés ici.















Un peu plus loin je découvre une autre locomotive figée pour l'éternité. Je ne réalise pas tout de suite que c'est le même modèle que celle vue en tout début de visite, car la végétation apporte une autre ambiance. Nom de code du majestueux engin : "MAV 326". La végétation à ses pieds me rappelle les robots endormis du Château dans le Ciel d'Hayao Miyazaki, et me la rends tout de suite très sympathique. C'est probablement pour ça que je la prends un peu plus en photo que les autres.











Nous arrivons enfin au clou de la visite, ce qui fait que tant de gens viennent (enfin, venaient) sur place : la MAV 424, avec sa belle étoile rouge à l'avant, qui lui donne une saveur communiste parfaite pour tout amateur de ruines modernes. Il faut dire qu'elle a effectivement de la gueule... La rouille et de possibles dégradations font que l'étoile n'est plus aussi belle qu'avant, mais qu'importe, c'est déjà fantastique de pouvoir la contempler.



L'exploration se termine avec deux photos montrant une bouche par laquelle le charbon était déposé dans le foyer. Le clapet servant à fermer la bouche ayant disparu, ne reste qu'un trou, et au-dessus, deux ouvertures de part et d'autre formant deux yeux. Les yeux d'un visage semblant crier "Pourquoi m'avez-vous abandonné ?"

La visite étant terminée, nous sortons du site aussi facilement que nous sommes entrés : en marchant d'un pas rapide, sans nous retourner ni prêter attention à rien. Escaladant un mur, nous nous estimons chanceux d'avoir pu immortaliser cette belle collection de trains et de wagons figés dans le temps. La première photo aura été prise à 6h46, la dernière à 9h51. Trois heures de contemplation, de silence, et d'émotion face à ces monstres endormis.

Ci-dessous, des vues aériennes montrant le lieu où se déroula cette visite. La première date de 2000. En blanc, un entrepôt en activité, et collé à lui, juste en-dessous, celui où étaient entreposés les trains et wagons. La photo n'est pas de super qualité mais permet d'imaginer que le site était en bon état à cette époque, la toiture semblant (presque) intacte.

La vue ci-dessous date de 2008, et permet de voir que un an avant que le projet de musée ne tombe à l'eau, le site était déjà en danger comme on peut le voir avec les nombreux trous dans le toit.

Ci-dessous, une vue datant de 2009, année où le site ferma. Un rapide coup d'œil permet de voir que la pluie allait se faire un plaisir de faire rouiller ce qui se trouvait dans l'entrepôt...

Ci-dessous, 2016. Sept ans après, la toiture est une vraie passoire.

Ci-dessous, des vues en 3D datant de 2018. Ces vues permettent de voir un wagon à moitié dans l'entrepôt et de se faire une meilleure idée du désastreux état de la toiture. On distingue aussi une dizaine de wagons/trains pourrissant au grand air.







Enfin, voici une vue du site en 2019. On remarquera que le train à moitié dans l'entrepôt a disparu, ainsi que la locomotive située à côté. Des voitures garées devant l'entrée permettent de bien se faire une idée de l'activité du site, qui fait que sur place on se devait d'être très discret et ne surtout pas parler.

Une dizaine de mois plus tard, le 4 Février 2020 parait un article Hongrois parlant du sauvetage d'une des locomotives, une MAV 301. Résumé rapide de l'article via Google : "Budapest - Une locomotive à vapeur a volé vers son nouvel emplacement : le Parc de l'Atelier Eiffel de l'Opéra d'État Hongrois. La locomotive portant le Numéro 301-006 a été récupérée dans les ruines de l'ancien atelier principal d'Istvántelk, et elle fera l'objet de rénovations mineures. Le site nord a été fermé en 2009. Les bâtiments dominants du site ont été déclarés monuments. L'Atelier Eiffel de l'Opéra est en cours de construction ici." Est-ce à croire que l'entrepôt sera, à terme, rasé ?

Le Jeudi 16 Avril 2020, un article parle d'un incendie survenu sur le site. Traduction rapide : "Des wagons de chemin de fer inutilisés ont brûlés à Budapest (4ème Arrondissement). L'incendie a également affecté la structure du toit du bâtiment adjacent. Lors de l'incident, des pompiers professionnels de la capitale sont sortis, et ont éteint les flammes à l'aide de quatre jets d'eau. Personne n'a été blessé." Ci-dessous des photos de l'article. S'il est sûr que la locomotive MAV 301 de l'article plus haut a été sauvée, le sort de ce qui restait sur place ne fait aucun doute, surtout pour les wagons en bois... Triste fin pour Istvántelek, le "Red Star Train Graveyard".