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L’Usine
Renault sur l’Île Seguin fut un endroit incroyable à
visiter. J’ai eu la chance d’y aller une dizaine de fois
et le spectacle y était exceptionnel. Fermée en 1992 et
détruite en 2004, elle fut laissée là pendant douze
ans, les taggueurs et les explorateurs se régalant d’un
tel endroit. Ci-dessous une vidéo tournée le 5 Mars 2000,
puis juste après des photos prises le 27 Janvier 2002. |
L’île
fait près d’un kilomètre de long, et une simple
visite durait environ trois heures minimum, le temps de tout voir, d’admirer
tous les beaux points de vue, les détails architecturaux, et
de se reposer quelque part pour reprendre son souffle (aller et retour,
sans compter les escaliers, la visite était assez sportive).
Pour entrer, il fallait grimper sur le toit du pont tunnel sans regarder
en bas. On pouvait ainsi accéder à l’usine en passant
par les toits, ou en profitant d'un trou à l’entrée
du même pont. |
Une
fois sur le toit, on passait à l'Intérieur d'un mur creux,
et vous voilà sur les toits, avec un splendide point de vue sur
la Seine. L'usine était un véritable paquebot rouillé
qui flotte sur la Seine. Comme un gigantesque vaisseau Star Wars qui
se serait écrasé, avec un sigle Renault à l’avant.
La forme est brutale, massive, fonctionnelle, comme une forteresse flottante,
amarrée par ses deux ponts de chaque coté. Ca me rappelle
la Super Défense Forteresse de la série Macross / Robotech,
pour l'aspect porte-avions. On peut aussi penser que les milliards de
fenêtres donnent un coté Titanic échoué dans
le sud-ouest de Paris. Ci-dessous des photos prises le 12 Juillet 2002 (et faites avec un appareil jetable, désolé pour la qualité). |
Sur
le toit, on a une vue imprenable. D’abord, sur les toits des verrières,
on voit tout ce qui se passe en dehors de l’île. C’est
rigolo car on est venus pour voir l’usine, et une fois dedans,
enfin dessus, on ne fait que regarder ce qui s’y passe en dehors,
sur l'autre rive. Une certaine fierté vous envahit, car nous
sommes «là où on ne devrait pas être»
(ah, l’interdit…) et des gens nous voient, de l'autre coté,
se demandant pourquoi nous sommes là, comment nous sommes entrés etc. Vu l’entreprise pour y entrer, et les distances, on pouvait se
permettre presque tout, car le temps que quelqu’un vienne nous
chercher (Police, Vigile) on avait largement le temps de se planquer
dans une des mille cachettes que le lieu proposait. Ci-dessous des photos prises le 13 Juillet 2002. |
Des
fois, on croisait des mouettes. Lorsqu’il faisait très
beau, on était agréablement bien rafraîchi et calmé
par les vents assez violents balayant l’île. Pas de végétation,
à part quelques herbes et arbres poussant ici et là, surtout
au bord de l'île, à ses extrémités. D’en
haut, on se rendait compte encore plus de l’immensité du
lieu, on avait du mal à réaliser comme de l’extérieur,
l’endroit fait «fermé» alors qu’une fois
dedans, on ne sait plus quoi regarder tellement les perspectives sont
violentes, et le regard, libre. Du haut des toits, on pouvait également
assister au 14 Juillet, par hasard, avec la Tour Eiffel au loin. Du
haut des toits, on pouvait aussi constater l'étendue des dégâts
lors de la démolition... |
Partout
où l’on posait son regard, la mort était présente.
Tout le bâtiment était à présent inutile,
n’avait plus de fonction, ne servait plus à rien, il ne
nous restait plus qu’à contempler l’absence. Le regard
cherchait partout une trace de vie, un signe nous renseignant sur la
façon dont la vie se déroulait sur l’île :
chaînes de montages, ateliers de peinture, salle des machines,
relevés électriques. C’est un réflexe : on ne supporte pas de voir tout ce vide, et on se pose des questions, «A quoi servait cette salle ? Quelles machines pouvaient bien s’y trouver ? Où sont passé les ouvriers ?» Certains endroits sont évidents, comme les vestiaires, les douches, les bureaux. On ouvre les casiers uns par uns, espérant trouver quelque chose, alors que pleins de gens sont passés avant nous. Quelques rares habits, chaussures et gants traînent ici et là. |
La
nuit, l’île devenait flippante. Les lumières de l’extérieur
se reflétaient partout, en marchant, on avait l’impression
de voir une lampe de poche balayer l’espace, nous pointant. Notre
vue étant floue, assombrie, notre ouïe se tendait au maximum,
et nous prêtions beaucoup plus attention aux bruits, des bruits
flippants, eux aussi, comme des sons sourds apparaissant d’un
seul coup, au loin. Ils se répétaient, et il fallait continuer
d’avancer tout droit pour se rendre compte que ça n’était
juste qu’une tôle de plastique ballottée par le vent,
cognant sur une vitre. |
Au bout de l’île se situait la salle des machines. Les bonnes grosses machines Alsthom qui ne tournaient plus. Cette partie de l’île était la plus intéressante, c’était un dédale de tuyaux rouillés, d’escaliers grinçants qui craquaient, et il y avait la fameuse salle avec l’engrenage que l’on pouvait tourner pour le faire se cogner contre la machine dans un grand DONG ! Lorsque la démolition fut annoncée, on ne pouvait s’empêcher de regretter qu’un tel édifice allait être détruit, sa mémoire, son histoire (mais surtout le plaisir de pouvoir l’explorer et s’y amuser). Ci-dessous, des photos prises le 27 Avril 2004, lors du début de la démolition. |
Ci-dessous, des photos prises le 9 Octobre 2004 : adieu le silence, voilà le temps des pelleteuses,
les bruits de la ville entrent dans l’île, puisqu’il
n’y a plus de coque autour de l’usine. Le grand bâtiment,
le plus moderne, trône fièrement là, attendant son
tour. On découvre des choses de l’île qu’on
ne connaissait pas : un sol constitué de lamelles de bois, un
passage souterrain secret, et même une verrière sauvegardée
comme souvenir. L’usine semble moins grande, maintenant qu’on
en voit le bout. Et voilà, après il n’y eut plus
rien. Pinault décida de faire son Musée à Venise,
et le Projet de Tadao Ando tomba à l’eau. |
Ci-dessous, une vidéo du site de 1950 à 2016. |
Ci-dessous, des vues aériennes de 1992, 1994, 1999, 2000 et 2003. |
Ci-dessous,
des photos de l'usine prises entre 1998 et 2000, très gentiment
envoyées par Karma Chicken. |
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Le saviez-vous ? L'Usine Renault apparait dans la série «Code Lyoko», dans presque tous les épisode apparemment. Cette série fut diffusée de 2003 à 2007, donc pour les téléspectateurs ayant pris la série en route aux alentours de 2004, voir la «vraie» usine ayant inspiré la série fut impossible. Ci-dessous quelques images. |
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L'Usine Renault étant un lieu célèbre, il existe pas mal de vidéos à son sujet. J'ai pris la liberté de ne pas mettre de vidéos datant d'avant 1989, car ce qui m'intéresse sur cette page c'est son abandon. Ci-dessous, cliquez sur les captures d'écrans pour regarder les différentes vidéos (et enregistrez-les, tant qu'à faire). |
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27 Novembre 1989 : "L'Usine Renault à Boulogne-Billancourt sur l'Île Seguin va fermer. Construite en 1929, elle emploie encore 4000 ouvriers." |
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21 Novembre 1990 :
"Projet d'aménagement des hectares de l'ancienne usine Renault sise dans l'Ile Seguin sur la Seine à Boulogne-Billancourt. " |
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31 Mars 1992 (2) : " Fermeture de l'Usine Renault dans l'Île Seguin à Boulogne-Billancourt. Les derniers ouvriers, tous émigrés, ont quitté le site aujourd'hui. Portrait de l'un d'entre-eux. " |
"Que reste-t-il aujourd'hui de Boulogne-Billancourt et de la longue agonie de son usine ? D'anciens ouvriers de chez Renault Billancourt évoquent leur histoire d'amour avec l'entreprise : Khémaïs Dabous qui l'a quittée à l'âge de la retraite, y a passé 25 ans : "On était des matricules..." Les trois quarts des ouvriers étaient des immigrés embauchés massivement dans les années 60. Mais au début des années 80, Boulogne-Billancourt est une vieille usine dépassée et les plans sociaux se succèdent.
Dans sa boutique, Daniel Fernandes, aujourd'hui fleuriste, est encore bouleversé par son licenciement après 21 ans de travail. Mais beaucoup des ouvriers licenciés n'ont pas réussi leur reconversion. Interview de Gilles Pinato, ouvrier Renault, délégué CGT, sur ce grave problème. Khémaïs est indigné qu'aucune formation n'ait été prévue pour eux. Il se souvient des grèves et des meetings. Les bistrots n'accueillent plus désormais les ouvriers, remplacés par les "cols blancs". Interview de César Canniccioni patron de "La Brasserie du Parc", sur ce changement et l'ambiance morose. Khémaïs allait aux cours du soir. Ses activités sont désormais ailleurs, mais son coeur sera toujours proche de Renault." |
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27 Mai 1998 : "Said Khalfouni parle de l'Usine Renault de Boulogne-Billancourt ou il travailla dans l'atelier 1250. La dernière voiture sortit de l'Île Seguin le 27 Mars 1992. Said se souvient." |
"En alternance, témoignages d'anciens ouvriers et de leurs familles, images d'archives (notamment les grandes luttes sociales) et images actuelles de l'usine abandonnée. Il y a dix ans, en mars 1992, les O.S. de Renault finissaient leur dernière journée sur l'île Seguin. Pendant toute le XXème siècle, jusqu'à 35.000 salariés ont travaillé sur ce site, contribuant chacun à leur manière à forger l'histoire industrielle, sociale et politique de la France. Dans quelques mois, la friche industrielle de l'île Seguin sera totalement rasée, laissant place à un projet urbanistique ambitieux (Fondation Pinault consacrée à l'art contemporain, bureaux et logements haut de gamme, promenades en bord de Seine...). Mais rien n'est prévu pour rappeler et faire revivre la "Mémoire des Renault". Saga-Cités a rencontre d'anciens salariés de Billancourt et leurs familles. Chacun évoque une part de ce que fut leur vie de travailleurs immigrés, d'O.S., de militant syndical. Tous sont inquiets de l'absence de transmission de leur histoire, de cette histoire ouvrière qui donne pourtant des indications sensibles pour comprendre le présent et préparer l'avenir." |
Enfin, ci-dessous une vidéo fut faite lors d'une visite improvisée le 17 Avril 2004, rapidement avec le mode vidéo de l'appareil numerique que j'avais à l'époque. La qualité est atroce, mais je la mets quand même à titre d'archive. |
Enfin, un podcast à écouter : "L'île Seguin : on a rasé et après ?" Diffusé à l'origine le Mardi 12 Décembre 2017 sur France Inter, avec Jean Lebrun et
Philippe Subra, géographe professeur à l'Institut Français de Géopolitique à l'Université Paris 8. Pour plus d'infos sur l'émission, cliquez ici. |