Construite au début du XXème siècle et située à Säter (deux heures de route au nord de Stockholm) la «Skönviks Psykiatriska Klinik» (Clinique Psychiatrique de Skönviks) était lors de sa construction le plus vaste établissement psychiatrique de Suède. 830 patients pouvaient y être hébergés, ce qui était beaucoup quand on sait que la ville de Säter comptait environ 1000 habitants à cette époque.

Composé d’une trentaine de bâtiments (certains grands, d’autres très petits) et toujours en activité à l’heure où j’écris ces lignes (quatre bâtiments continuent à fonctionner), le complexe hospitalier comportait un bâtiment différent des autres où étaient enfermées les personnes s’étant rendues responsables de violences sexuelles. Vous comprendrez donc mieux le côté «prison» du bâtiment présenté sur cette page ainsi que la hauteur des murs de la cour. Ce bâtiment portait le nom de «Säters Fasta Paviljong» (Pavillon Fixe de Säter) et comportait 27 lits. Ci-dessous, plusieurs photos anciennes permettant de mieux voir de quel bâtiment nous parlons :







Ci-dessous, une vue Google Earth datant de 2021. Le pavillon est dans le cercle blanc.

Ci-dessous une photo tirée de la page Wikipédia. Le pavillon en question est tout à gauche (flèche blanche).

Les méthodes cruelles et douteuses avaient libre cours à Säter. On recourait à l'insulinothérapie pour provoquer le coma, ainsi qu'à l'électrothérapie et à la lobotomie. Les mœurs ayant évolué au fil du temps, l’établissement fut jugé brutal et dépassé par l’opinion publique. Dans les années 1970 les traitements violents furent remplacés par une approche thérapeutique plus douce. En 1989, le «Säters Fasta Paviljong» ferma ses portes, remplacé par un bâtiment plus moderne.

En 2000, un incendie se déclara dans les combles du bâtiment. Laissé à l’abandon durant des années et des années, c’est en 2017, à l’occasion de mon livre «Urbex Europe», que j’y fis ma visite. Fin 2024 j’appris qu’il fut démoli en 2023. Ce qui est étonnant avec ce lieu, c’est qu’il était dans un état de ruine très avancé tout en étant au milieu d’un site en activité. Pourquoi n’avait-il pas été démoli en 2000 juste après l’incendie ? Aucune idée. Ci-dessous, trois photos pour se mettre dans l'ambiance Suédoise. La dernière fut prise juste après s'être garé dans le complexe hospitalier. Il m'était impossible de repartir sans une photo de l'immense lac Ljustern, si apaisant (et probablement la raison pour laquelle le site fut construit ici).





Il est alors temps pour moi de me diriger vers le bâtiment que je suis venu explorer... Sera-t-il accessible ? Je ne sais pas encore. Quand on vient visiter un lieu situé aussi loin il est difficile d’avoir des informations «fraiches». Bon, déjà, le lieu n’est pas rasé, c’est déjà ça. Et il a une sacrée allure avec cette peinture disparue qui laisse apercevoir les briques rouges ! D’ailleurs c’est pour ça que je lui ai donné le nom fictif de «Rödsjukhus» («Hôpital Rouge» en Suédois) dans le livre «Urbex Europe».

Prenant la façade en photo avec mon téléphone (photos ci-dessous) je suis saisi par le contraste entre le lugubre pavillon délabré entouré d’herbes folles et la propreté de la pelouse depuis laquelle je le prends en photo. Je ne peux m’empêcher de penser aux gens qui viennent ici, passent devant des bâtiments en activité parfaitement entretenus, puis tombent sur celui-là, tout droit sorti d’un film d’horreur avec ses innombrables barreaux aux fenêtres.



Une fois ma contemplation terminée vient l’étape suivante : entrer dans le lieu. Contournant le bâtiment par la gauche, je me fraye un chemin parmi les orties et autres arbustes qui ne semblent pas décidés à me laisser passer. Heureusement, quelques mètres plus loin, je constate que tout est plus dégagé : fini les orties, place aux bouleaux. Pour autant, si tout est plus clair ici, un nouvel obstacle (de taille) apparait : un mur assez haut, un peu plus de trois mètres à vue de nez, ne semble pas du tout décidé à se laisser escalader. Nulle prise, mission impossible…

Longeant le mur, je découvre une sorte de fenêtre façonnée dans le mur. Une fenêtre à travers laquelle je découvre la cour située derrière le bâtiment. Pourquoi cette fenêtre est-elle là ? Une petite lucarne de liberté «visuelle» offerte aux patients ? Peut-être bien. Fasciné par cette fenêtre, mon cœur fait un petit bond en apercevant au travers un couple dans la cour intérieure se frayant un chemin parmi la végétation ayant envahi l’espace clos. A leur tenue je devine que ce ne sont pas du tout des vigiles. Ou alors les vigiles Suédois aiment porter des casquettes militaires, des vestes en jean, des treillis blanc et gris et des Dr Martens…

Bien qu’habillé d’une veste kaki et d’une casquette (également) kaki ils m’aperçoivent à la fenêtre et se figent, leur regard trahissant une légère inquiétude. Je leur montre tout de suite mon trépied pour leur faire comprendre que je ne suis pas du tout un gardien, mais une personne venue (comme eux) explorer le lieu, et le photographier. Leur regard surpris se change en sourire, ils lèvent le pouce en ma direction, puis continuent leur trajet, probablement heureux que je ne sois pas vigile, mais probablement ennuyés (aussi) qu’ils ne soient pas les seuls sur place ce jour-là.

De mon côté, je dois avouer que ça me rassure un peu : si j’entends des bruits dans le bâtiment, je saurais que ce sont eux, et pas un vigile. Autre point positif de cette furtive rencontre à travers la fenêtre : si ce couple d’explorateur est dans la cour, c’est qu’il y a un moyen d’entrer ! Je continue donc mon chemin en longeant le haut mur…

Une dizaine de mètres plus loin, le mur tourne sur la droite. Comme j’ai croisé des explorateurs quelques secondes plus tôt, je m’attends à trouver un pan de mur effondré qui me permettra d’entrer facilement. Mais, ne voyant rien, je commence un peu à déprimer : faudra-t-il escalader le haut mur en prenant appui tant bien que mal sur les maigres arbres poussant le long du mur ? La réponse ne se fait heureusement pas attendre : un peu plus loin je découvre une échelle bricolée avec des planches le long de deux troncs d’arbres. Celle-ci grimpe jusqu’au sommet du mur. Miracle ! Enfin, j’ai un peu mal quand même pour les arbres qu’on a percé de clous pour installer ça…

Chose rassurante : si cette installation est là, et que personne n’a pris le temps de retirer les planches ou l’échelle, c’est que le lieu n’est pas très surveillé. Ci-dessous quatre photos : 1) petit coup de déprime en imaginant qu’il me faudra grimper en m’appuyant sur les arbres 2) miracle, une échelle ! 3) nouveau miracle : en regardant tout en haut je vois qu’une échelle métallique est posée de l’autre côté 4) quelques secondes plus tard, me voici dans la cour…







Ici, les arbres ont poussé ici de façon complètement anarchique. Une vraie forêt de bouleaux et de sapins parmi laquelle il faut slalomer pour traverser la cour. C’est incroyablement beau de voir cette nature verdoyante dans cet enclos carcéral. Un abri en bois, plutôt mignon, est encore debout. Le temps de prendre ma photo, je me dis que cette cour doit être magnifique en automne, ou en hiver avec de la neige. Durant ces saisons on doit bien mieux voir le bâtiment à quelques mètres de là.

Le soleil commençant à légèrement décliner, je me dirige d’un pas décidé vers le bâtiment, qui à ma grande joie est accessible via une petite porte (enfin, via une porte disparue pour être exact) par laquelle les patients devaient entrer dans la cour. Visuellement, on ne peut pas faire plus «urbex» avec cette peinture tombée au sol laissant voir le mur de briques, les arbres ayant poussé partout, et tous ces tags. L’un deux, «JAMA 96» annonce la couleur : l’abandon du bâtiment ne date pas d’hier…





Une fois à l’intérieur, l’exploration à proprement parler débute. Me voici dans un grand couloir desservant les anciennes cellules. Je n’ose utiliser le mot «chambre» tant l’atmosphère carcérale est prégnante : portes blindées, lucarnes pour observer les patients, barreaux partout… On serait dans une prison que ça ne serait pas bien différent. La visite me rappelle la Prison de Loos, visitée en 2013. L’ambiance y était tout aussi glauque, mais pas aussi empreinte du passé comme le lieu présenté sur cette page. Ici, tout est bien plus vieux qu’à Loos. C’est un vrai voyage dans le temps. Au détour d’une porte, je tombe sur une baignoire peinte en rouge, et laissée au beau milieu de la pièce. Sans doute un reste de shooting Gothique ?





















Continuant ma visite, j’entends des voix et des bruits venant de l’étage supérieur. Je repense alors au couple que j’ai aperçu à travers la fenêtre quand j’étais dehors. Gravissant les marches de l’escalier de service, je me dis que je vais tomber sur eux, et ce sera une nouvelle occasion de leur dire bonjour. Surprise ! Ce n’est pas le couple de tout à l’heure que je rencontre, mais un autre couple, différent. Plus jeunes que moi, les deux adolescents ont au début un moment de panique en me voyant (il faut dire que contrairement à eux, je ne fais pas de bruit, et, étant seul, je ne parle pas) mais je les rassure aussitôt en leur disant en anglais que je ne suis pas un vigile, et encore moins la police.

«I’m not the security, relax. I’m just taking pictures. Don’t be afraid, I won’t bother you.» Pour le couple d’adolescents, la pression retombe. Nous nous mettons même à discuter, et ce très facilement vu le bon niveau d’anglais des adolescents. Je leur explique que je viens de France et que je travaille à un projet de livre sur les lieux à l’abandon. «Vous êtes venus de France juste pour cet bâtiment ?!» Je souris car cela peut sembler surréaliste, mais ils ne connaissent pas mon parcours. Je leur explique que j’ai visité d’autres lieux en Suède quelques jours plus tôt : Fun City au sud de Göteborg, Bjornhammaren

La petite discussion prend fin quand un des deux ados semble pressé de continuer à visiter le bâtiment avant que la lumière ne décline trop. «Nous n’avons pas de lampe de poche !» lance-t-il avec un sourire. Je les salue alors et continue ma visite vers les combles. Mais comme je l’avais vu depuis l’extérieur, l’incendie ayant endommagé cette partie du lieu l’a rendu bien trop dangereux à explorer. Je prends à peine deux photos sans même y grimper, puis redescends.







Quelques marches plus bas, je retombe sur le couple d’adolescents croisés quelques instants auparavant. Les saluant très simplement, l’un d’eux me dit «Nous ne retrouvons plus la sortie ! C’est comme si le lieu voulait nous garder, haha…» Appréciant beaucoup cet humour, je leur montre le chemin vers la petite porte menant à la cour. De là, je les vois repartir dans la végétation, en espérant qu’ils arriveront à retrouver l’échelle permettant d’escalader le mur et de quitter les lieux.

Le soir commence à arriver. La lumière se fait plus rasante, et plus forte aussi. Pas pratique pour immortaliser comme je le voudrais le lugubre pavillon déjà bien caché par tous ces bouleaux... Repassant par le petit abri pour y ranger mon matériel, je découvre sur le sol de ce dernier un curieux dessin : voulant sûrement dessiner un pentagramme, des artistes en herbes ont (semble-t-il) raté leur coup et on fait une étoile de David, et même plusieurs étoiles imbriquées les unes dans les autres au fil des ratages successifs. C’est sur cette imagerie typique des lieux abandonnés que se termine cette visite.







Comme indiqué au début de cette page, le «Säters Fasta Paviljong» figure dans mon livre «Urbex Europe» sous le nom «Rödsjukhus» («Hôpital Rouge» en Suédois). Ci-dessous, voici le dessin réalisé pour ce livre :

Que devient le lieu après ma visite de 2017 ? Je ne le sais pas vraiment, mais voici des vues aériennes le montrant en 2021 et 2022 :



C’est fin 2024, en me renseignant un peu au hasard sur le lieu, que j’appris qu’il avait été démoli le 7 Avril 2023. Ci-dessous, voici des captures d’une vidéo montrant la démolition. Elles son extraites de la vidéo présente dans cet article. (Archive)









Pour aller plus loin, voici un lien vers des photos du «Säters Fasta Paviljong» en 2005. C’est vraiment chouette de voir des clichés aussi anciens, qui me rappellent mes débuts dans l’exploration urbaine à la fin des années 90.

Ci-dessous, une jolie photo figurant dans ce bel article de RoadTripster :




D’autres photos dans cet article de Uddautflykster.

N'hésitez pas à taper «Säters Fasta Paviljong» dans Google, le lieu est très documenté !
Il y a même un groupe Facebook comportant de chouettes photos, telle que celle-ci :