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C’est à l’occasion d’un road trip avec des amis dans l’Est de la France en 2017 que j’ai visité cette maison. Parmi les lieux que je comptais visiter j’avais noté l’emplacement de cette bâtisse, dont je connaissais vaguement l’histoire. Mais de quelle histoire parlons-nous exactement ? De l’affaire du «Mage de Marsal». Et comme le contexte est important pour comprendre quel lieu j’ai visité, il est impératif de faire un résumé de l’affaire. Remarques : 1) Si je donne le vrai nom de ce lieu et dans quelle ville elle se situait, c’est car elle fut démolie en 2022. 2) J’ai écrit cette page fin 2024, en apprenant par hasard que la maison avait été démolie deux années plus tôt. Mais revenons à l’affaire. La date : 23 Novembre 1968. L’heure : 4h du matin. Le lieu : Gendarmerie de Vic-sur-Seille. Une Mercedes rouge s’arrête, trois hommes en sortent, puis entrent dans le bâtiment. Venus de Marsal, seul l’un des trois hommes parle : Maurice Gérard (le fameux «mage»), qui se présente sous l’identité de «Mat-Kormano» ou «Swami Matkormano» selon les sources. Les deux hommes qui l’accompagnent sont Michel Dib et Michel Vaugrante. Remarque : certaines sources disent que Maurice Gérard ne se rend au commissariat qu’en compagnie de son épouse, Josiane Gérard, sa «prêtresse», nommée «Alféola». Ci-dessous, Maurice Gérard : |
Voici ce qu’entendent les Gendarmes de Vic-sur-Seille de la bouche de Maurice Gérard : «Il y a tout juste quelques minutes j'ai entendu crier devant ma maison. Je me suis habillé en hâte et je me suis précipité sur le perron. Dans la nuit j'ai entrevu une forme humaine qui m'a lancé d'une voix vulgaire : «T'occupe pas de ça, on s'en charge», puis on a tiré cinq coups de feu dans ma direction, me manquant de peu. Une voiture a démarré en trombe, tous phares éteints. J'ai couru pour tenter de la rattraper mais, bien sûr, elle était déjà loin. Lorsque je suis rentré chez moi, deux de mes enfants qui dormaient dans leur chambre avaient disparu. Et on m'avait volé une statuette.» (Certaines sources parlent de deux statuettes.) Source : «Magie à Marsal» (Page 10) (Archive PDF) |
Les deux enfants dont parle Maurice Gérard se nomment Gabriel (6 ans) et Pascal (3 ans). A cette époque, les époux Gérard ont eu quatre filles avant Gabriel et Pascal : Marie-Claire, Evelyne, Alix, et une dont je n’ai pas retrouvé le prénom. A l’époque de l’affaire, toutes vivent (à priori) également sur place, puisque Maurice Gérard dit qu’on a enlevé «deux de ses enfants». A ce moment, la maison à Marsal abrite donc (à priori, encore) 10 personnes : Maurice Gérard («Swami Matkormano»), sa femme Josiane (dit «Alféola», sa «prêtresse»), leurs six enfants, Michel Dib, ancien étudiant des beaux-arts et disciple du mage, et enfin Michel Vaugrante, qui se dit représentant de commerce, également disciple du mage. La «Maison du Mage» de Marsal est une vieille bâtisse du XVIIe siècle ayant servi d’hôpital militaire dans le passé. «Autrefois, c'était un lazaret, puis un hôpital militaire. Louis XIV lui-même y est venu visiter ses soldats blessés lors de la bataille de Rocroi.» (Source : France Inter) Quelques heures après que Maurice Gérard, Michel Dib et Michel Vaugrante soient venus à la Gendarmerie de Vic-sur-Seille, la maison est fouillée par les forces de l’ordre. Celle-ci est présentée par Maurice Gérard comme un « ashram», c’est-à-dire un ermitage destiné aux exercices spirituels. Tout est inspecté : souterrains, chambres, murs, dalles… Les recherches ne donnant rien, Maurice Gérard est à nouveau interrogé, et on dénombre de multiples incohérences dans son récit, notamment le fait que personne à Marsal n’ait entendu aboyer son berger allemand, pourtant connu pour ne pas être commode. Maurice Gérard dit également aux Gendarmes quelque chose d’assez atroce (et compromettant) que l’on peut lire dans un article du Nouvel Obs : «C'est bien triste, cette histoire, messieurs. Si je leur avais envoyé plus d'électricité, ils seraient peut-être encore là. Ils auraient pu se défendre.» Le mage alors montre un fil électrique qu'il branchait sur les lits de fer des deux enfants. «Ils prenaient 300 grammes en une nuit, explique-t-il, mais ils les perdaient au matin.» Source : Article «Le Nouvel Obs» à lire en plus grand en cliquant ci-dessous. (PDF) |
Le 1er Janvier 1969 le juge d’instruction inculpe Maurice Gérard et sa femme Josiane de «mauvais traitements sur enfants» (ou «défaut de soins»). Ils sont soupçonnés d’avoir tué (ou laissé mourir) Gabriel et Pascal, dont l’existence n’aurait servi qu’à toucher des allocations. Maurice Gérard est incarcéré. Durant sa détention les forces de l’ordre essayent de faire craquer le «mage» mais n’y parviennent pas. Sa femme Josiane, considérée comme «folle», est internée à Lorquin. Elle en sortira deux ans plus tard, en 1971, tandis que son mari reste en captivité jusqu’en 1974, année où un non-lieu est finalement déclaré. Vingt-cinq années plus tard, le 9 Avril 1999, le «Mage de Marsal» meurt, emportant son secret avec lui. Je n’ai pas réussi à déterminer ce qu’était devenu sa femme Josiane. Il existe de très nombreux reportages consacrés à cette affaire. Le plus intéressant (à mon sens) est un podcast de France Inter, «Rendez-vous avec X», diffusé le 3 Avril 2021. Assez complet, il est malheureusement interrompu par trop de chansons, mais je vous recommande cependant de l’écouter quand même. On y apprend notamment deux choses : 1) deux mois avant le (prétendu) enlèvement, un voisin remarque une épaisse fumée s’échapper de la grange de Maurice Gérard. Croyant à un incendie, il vient lui proposer de l’aide, mais on ne le laisse pas entrer. 2) A l’époque, Maurice Mességué, un «guérisseur» très connu, déclare publiquement qu’il a rencontré Maurice Gérard quelques années avant l’enlèvement, et que ce dernier lui a dit «Comment faites-vous pour qu’on parle sans cesse de vous dans la presse ? Moi je n’y arrive pas et j’ai pourtant des pouvoirs considérables. Est-ce qu’il faudrait que j’organise un rapt, ou un sacrifice humain ?» Autre chose curieuse : au moment de l’affaire, «personne au village n’a jamais vu ces deux enfants (sur les six)». Le podcast «Rendez-vous avec X» (à écouter ci-dessous) se termine donc avec une surprenante théorie : les enfants n’auraient tout simplement pas existé, ce qui expliquerait que personne ne les ai vu, ainsi que la légèreté avec laquelle Maurice Gérard réagit lors de l’enlèvement de Gabriel et Pascal. |
Un article du Républicain Lorrain de 2014 (ci-dessous) revenant sur l’affaire 5 années après la mort de Maurice Gérard montre cependant des photos des enfants : s’ils n’ont jamais existé (ce qui est juste une théorie) qui sont ces enfants ? Le podcast «Rendez-vous avec X» avance que deux des quatre filles auraient pu être habillées en garçon pour faire croire à leur existence... Cliquez sur l’article pour le voir en plus grand. (Source : PDF) |
Ci-dessous des photos parues à l'époque : |
Ci-dessous une vue aérienne de la maison en 1946 : |
Retour à ma visite de 2017. Il est important pour moi de rappeler qu’à ce moment je ne connais l’affaire que de loin, et que si j’avais su tout ce que je sais au moment de la rédaction de cette page (2024) je n’aurais pas du tout exploré la maison de la même façon. J’aurais fait bien plus attention à ce que je voyais sur place, et je serais sûrement resté plus longtemps, aussi. Ci-dessous, voici la façade de la maison, qui ne fut pas bien dure à localiser à Marsal. La question que je me posais face à cette maison avec mes camarades d’exploration était «Comment y entrer ?» Je ne sais pas pourquoi mais quelque chose me disait qu’elle devait forcément être fermée. Probablement sa situation : en pleine ville, à la vue de tous… Il faudrait forcément passer par derrière, escalader un muret ou que sais-je ? Pourtant, approchant de la porte, surprise, elle est ouverte ! Est-ce un coup de chance ? Ou la maison est-elle en permanence ouverte aux quatre vents ? Le temps de la photographier avec le téléphone, nous entrons et découvrons un couloir... |
Incroyable spectacle : sur un fond bleu (avec une bande verte partant du sol et s’arrêtant à environ 60cm de haut) différentes divinités attirent le regard. La plus évidente est la déesse Kali, identifiable avec ses multiples bras, et Shiva. Face à Kali, directement sur le mur opposé, il me semble que l’on a voulu représenter Jésus, enfin un Jésus avec plusieurs bras (sûrement plus pratique pour multiplier les pains) et trois visages. Pas banal ! Autour de ces personnages, des symboles ésotériques mettent dans l’ambiance : triangle, étoiles, chiffres, symboles masculin/féminin modifiés... Qui a peint tout cela ? Le nom qui me vient en premier est évidemment Michel Dib, qui était un ancien étudiant des beaux-arts. Mais tout cela pourrait être une œuvre collective. En regardant ces photos prises en 2017 je regrette beaucoup de ne pas avoir eu de grand angle à l’époque… |
Depuis le fameux couloir je pénètre dans une première pièce. Et si le couloir était impressionnant avec ses peintures, ici c’est l’abondance de jouets pour enfants qui me frappe. A l’époque de ma visite (2017) je sais plus ou moins qu’il est question d’enfants qui ont été enlevés dans les années 60. Mais devant ces jouets et autre objets que je vois, je ne veux pas tomber dans le piège de «C’est incroyable, ces jouets étaient ceux des enfants disparus !» car tous ces objets ont l’air trop récents. Et surtout, à côté d’eux, de nombreux documents au sol datent des années 80/90/2000, signe que la maison a été habitée ou squattée après l’affaire. En fait cet amoncèlement est tout simplement un mélange de jouets probablement anciens, mais d’autres clairement récents. Pour autant, si on oublie les jouets, tout ce qui traine encore ici semble (pour le coup) pouvoir dater de l’affaire : je pense par exemple au papier peint, à la lampe fixée au plafond, aux fauteuils, et à un reste rouillé de poussette... Le décor de l’affaire est toujours là après toutes ces années. |
La suite de la visite est semblable à celle de n’importe quelle maison à l’abandon : des meubles retournés, certains en place, de l’humidité, des débris, et surtout du bazar dans chaque pièce. S’il est évident que la maison a été fouillée pour y voler des objets, le fait que l’affaire ait subi une médiatisation intense a dû attirer encore plus de personnes sur place. Je note cependant que, pour une raison qui m’échappe, il y a vraiment beaucoup (j’insiste) d’objets enfantins. Jouets, jeux, magazines, vêtements… Un vrai capharnaüm. Peut-être que les gens qui ont vécu ici après l’affaire avaient beaucoup d’enfants ? |
Après avoir visité des pièces aussi tristement banales les unes que les autres, je découvre une pièce bien plus vaste, haute de plafond, dont le plafond semble avoir été retiré. Ne restent que les poutres, au travers desquelles on peut voir le niveau supérieur, sous les combles. Ici on a l’impression d’être dans une sorte de grange, ce qui détonne avec le reste de la bâtisse. Un peu partout, comme ailleurs dans la maison, on évolue parmi un fatras d’objets divers, certains anciens, certains franchement récents, et toujours dans cette étrange atmosphère de maison qui a du cent fois être retournée par les différents visiteurs de passage. Près d’une fenêtre, une mise en scène : on a disposé une poupée (ainsi que sa tête, détachée du corps) sur l’assise. L’effet est immédiat : glauque ! Pourtant c’est juste une mise en scène, destinée à produire une image «terrifiante». |
Alors que je déambule parmi les détritus jonchant le sol de la maison, je tombe sur un prospectus. Je me dis rapidement qu’il doit encore s’agir des restes laissés par les gens ayant habité ou squatté la maison après l’affaire, mais, surprise, pas du tout, il s’agit d’un prospectus servant à la publicité du fameux mage. Probablement celui qu’il vendait dans le café de Marsal, en échange de 16 Francs. En observant bien on lit un petit "1964" sur le tract. Un petit morceau d’histoire que je me suis empressé de photographier, avant de le déposer dans un endroit un peu à l’abri. Evidemment, maintenant que la maison a disparu, je me dis que j’aurais dû l’emporter. Tant pis. |
Ainsi se termine la visite de la maison du «Mage de Marsal». Une visite que j’aurais aimé un peu plus approfondie, mais le temps en a décidé autrement. Ci-dessous trois vues aériennes datant de 2012, 2016 et 2019, et une vue Street View de 2012. |
La maison du «Mage de Marsal» est présente sous un nom fictif dans mon deuxième livre, «Urbex Europe» (lien vers page livres) sorti en 2019. Comme chaque lieu a droit à son dessin, voici le dessin figurant dans le livre. Le couloir étant si particulier, il m’était impossible de ne pas le dessiner : |
Que devient la maison après 2017 ? Difficile à dire, l’actualité des «lieux à l’abandon» n’étant pas facile à suivre. Mais on peut supposer que le lieu sera continuellement visité. Le 15 Mai 2022, un an après avoir été mise en vente, la maison subit un incendie. Un article en parle ici. |
La maison étant devenu trop dangereuse suite à l’incendie (des gens continuaient à la visiter) il est décidé de la raser. Le chantier de démolition débute le 1er Aout, trois mois après l’incendie. Un article du Républicain Lorrain en parle, avec de nombreuses photos, ici. |
Ci-dessous une vue aérienne du site en 2023. Ainsi se termine l’histoire de la maison du «Mage de Marsal», dont on aura jamais retrouvé les deux enfants. Un jour peut-être, quelqu’un parlera, mais cela semble plus qu’improbable étant donné qu’aucune nouvelle information n’est sortie 1) plus de vingt ans après la mort de Maurice Gérard, et 2) plus de deux ans après la démolition de la maison. Mais qui sait, peut-être qu’un jour une des statues parlantes du «mage», récupérée par un des multiples visiteurs de la maison, dira la vérité ? |