Important : Pour des raisons de confidentialité, de conservation, de sécurité (etc) je ne donnerais pas la localisation de cet endroit. Merci de votre compréhension.


2017. Un samedi matin pluvieux au nord de Glasgow. On ne peut pas dire que l’ambiance soit très gaie ce jour-là... L’atmosphère est plutôt industrielle par ici, surtout si l’on compare avec la région d’Édimbourg plus verte. Mais si j’ai choisi de m’aventurer dans ce coin moins attractif touristiquement parlant, c’est justement pour son patrimoine décalé. Le site que je viens visiter (connu et référencé) m’a tapé dans l’œil par son caractère insolite.

D’après le gps il me faut quarante minutes de route pour rejoindre mon objectif. Avec la conduite à gauche à laquelle je dois m’adapter, ce sera peut-être un peu plus ! Compte-tenu de la réputation du lieu, j’imagine que le moindre véhicule stationné à proximité doit attirer l’attention. En scrutant les parages, je finis par trouver un endroit suffisamment caché pour laisser la voiture. Le lieu est-il gardienné ? Aucune idée.

Empruntant un chemin de randonnée, je croise un panneau «DANGER / BEWARE OF «STRAY» GOLF BALLS» («Danger / Attention aux balles de golf égarées»). Original comme entrée en matière ! J’avais oublié qu’il y a un terrain de golf juste à côté. J’espère que je ne prendrais aucune balle sur la tête ! Vu la météo j’imagine que personne ne joue aujourd’hui sur le terrain de golf, mais en même temps nous sommes en Ecosse, il y pleut tout le temps ! Je longe le terrain qui doit me mener au pied du site, et au bout de trois cents mètres j’arrive à un petit pont rouillé et en mauvais état me menant au pied de l’édifice. J’enjambe la petite rivière et continue mon chemin.





Si je savais que le site serait plus ou moins fermé, je n’avais en revanche pas prévu cette haute grille bien acérée ceinturant le lieu… L’espace entre chaque barreau étant très étroit, je me demande comment je vais entrer, puis me dit qu’il y aura bien une faille quelque part. Prenant sur la gauche, j’inspecte la clôture en croisant les doigts. Par chance, cent mètres plus loin, des barreaux ont été sciés au bas de la grille. Le passage est praticable, mais à condition d’enlever ma veste et (bien évidemment) mon sac à dos.

Rampant sur le dos, puis reprenant mes affaires, j’oublie que mes vêtements sont plein de boue tant je suis 1) heureux d’avoir pu entrer, et 2) fasciné par ce paquebot de béton, ce vaisseau spatial monumental échoué en pleine nature... Hasard de la météo : au moment où je pénètre dans le site la pluie s’arrête. Une accalmie qui va me permettre d'explorer ce lieu plus sereinement, mais surtout de prendre de meilleures photos.



D’après mes lectures lors de la préparation de ce weekend en Ecosse, la construction, datée des années 1960, était vouée à un séminaire. Une centaine d’apprentis religieux devaient y être formés. Mais quand je rentre à l’intérieur de l’édifice, je n’arrive pas à imaginer la vie de séminariste dans ce temple de béton. Sans doute par méconnaissance, mais aussi par la modernité de l’architecture. Elle me rappelle le Couvent de la Tourette de Le Corbusier que j’ai eu la chance de visiter au cours de mes études d’architecture. Il est évident que cette construction s’en inspire complètement. N’ayant vu aucune photo d’archive avant de venir, je n’ai aucune idée de la fonction des volumes qui s’offrent à mes yeux. Et quelque part, tant mieux, je n’ai rien contre le mystère, ça fait travailler l’imagination.























Ci-dessous deux photos d’un petit bâtiment situé juste à côté du séminaire. Quelle était sa fonction ? Je n’en sais rien, mais il a de la gueule avec son look de bunker.



Me retournant, j’admire la façade brute du bâtiment principal. Quelques pas plus loin, me voici à l’intérieur. Le site ayant été complètement vidé (mobilier, vitres etc) tout est accessible très facilement, et je peux documenter le rez-de-chaussée avec cette liberté qui est un des nombreux charmes de l’exploration urbaine. En fait je me sens tellement bien que je prends le temps de faire un petit autoportrait avec mon reflet dans l’eau.













La suite est à couper le souffle : on pourrait facilement se faire un torticolis en admirant le hall principal : hauteur sous plafond, impression d’immensité, volumes incroyables, quel lieu fascinant ! Des escaliers mènent à des déambulatoires à chaque étage avec une vue plongeante sur cette insolite structure... Magnifique ! Un jeu de lignes courbes et rectilignes qui donne un caractère très particulier à ce lieu sacré. J’essaie de me transporter dans le temps et de me fondre dans le décor au milieu des séminaristes se déplaçant, livre de prière à la main d’un espace à l’autre. C’est beau et austère à la fois. Les mousses vertes fluorescentes - mais aussi les différents graffitis - apportent un peu de couleur à ce sanctuaire de béton.













Le bout du hall attire mon attention : à cet endroit il n’y a plus de toiture. Une installation métallique semble avoir été installée pour empêcher les poutres de béton de chuter. Au pied de celle-ci, mon regard est attiré par des blocs de béton gisant au sol. Un pochoir réalisé sur l’un d’eux représente une tête couronnée, peut-être celle d’un roi imaginaire, au visage bleu surmonté de son attribut de monarque en or. Cette image me donne l’idée d’un nom fictif pour ce lieu : «Blue King Church». Bon, techniquement je ne suis pas dans une église à proprement parler, mais je trouve que «Church» est plus joli que «Seminary»…



Ci-dessous, des photos prises depuis le premier étage du hall principal. Si d’en bas les volumes étaient impressionnants, ici les points de vue donnent le vertige avec toutes ces poutres, et surtout ces escaliers qui donnent l’impression d’être dans une gravure d’Escher.



















Me promenant à droite à gauche à la recherche d’autres points de vue, je réalise que ma visite du séminaire endormi est terminée. Par rapport à ce que j’avais imaginé, et aux photos que j’en avais vu, je suis vraiment ravi de m’être déplacé ici, car cette architecture vaut vraiment le coup d’œil. Jetant un dernier coup d’œil à la façade de l’édifice, je prends une dernière photo pus remballe mes affaires, très heureux de cette exploration, mais également ravi à l’idée de prendre un bon bain chaud une fois à l’hôtel. Fin de la visite !

Ci-dessous, le dessin réalisé pour le livre «Urbex Europe» :

En 1946, à la suite d’un incendie dans un séminaire au nord de Glasgow, décision est précise de le reconstruire entièrement. Mais ce n’est que quinze années plus tard, en 1961, que les travaux de construction du nouveau bâtiment débutent. D’inspiration moderniste, brutaliste, et franchement Le Corbuséenne, l’idée est de réunir dans un même lieu plusieurs institutions de la région. Mais lorsque le bâtiment sera achevé, le nombre d’étudiants inscrits n’atteint pas les ambitions espérées (une centaine de séminaristes) pour rentabiliser le centre. Par la suite, l’entretien beaucoup trop coûteux du bâtiment aura raison de l’institution qui fermera ses portes dans les années 1980.

Réhabilité en centre de désintoxication pour de jeunes toxicomanes, celui-ci fermera (encore) en 1987. Commence alors une longue période d’abandon… Le bâtiment de béton étant l’œuvre d’un architecte renommé, il est classé au patrimoine écossais au début des années 2000. Depuis, le site accueille de temps en temps des street-artistes. Ci-dessous, des photos du lieu lorsqu’il était en activité, prises en 1966 :













Ci-dessous, des vues aériennes de 2017, 2021 et 2025 :