Voici un lieu découvert par hasard, en vacances. Est-ce un lieu abandonné ? Oui et non. C’est une ruine «officielle» (ça existe) que tout le monde peut contempler en se rendant à la plage de Pen-Hat (Camaret). En voyant cette ruine, je me demandais si ça valait le coup d’en faire une page, puis en me renseignant sur l’histoire du lieu je me suis dit qu’il y avait là quelque chose d’intéressant à raconter, autant d’un point de vue historique qu’architectural. Le lieu s’appelle «Manoir Saint-Pol Roux», enfin, «lieu», comme vous le verrez sur cette page il s’agit plutôt d’un tas de pierres entouré de quatre tourelles, mais l’endroit est tout de même sympathique, surtout quand le soleil se couche.

Tout commence le 15 Janvier 1861 avec la naissance de Paul-Pierre Roux dans le quartier de Saint-Henri à Marseille. En 1882, un Bac L en poche, il monte à Paris étudier le droit. En 1886 il fonde avec Éphraïm Mikhaël et Pierre Quillard une revue, «La Pléiade». Il y gagne une certaine notoriété puis dès 1890 signe ses textes «Saint-Pol-Roux», intégrant alors le Mouvement Symboliste. En 1891 il rencontre sa future femme, Amélie Bélorgey, puis quitte Paris, s’installant d’abord à Bruxelles, puis dans les Ardennes. En 1898 il revient à Paris, puis, dégouté par cette capitale qui ne le reconnait pas, il s’installe à Roscanvel dans le Finistère, où, la même année, nait sa fille, Divine. La maison à Roscanvel étant trop petite, il s’installe à Camaret-sur-Mer, vivant des subsides que lui rapportent l'opéra Louise dont il a rédigé le livret pour Gustave Charpentier.

En 1903, Saint-Pol-Roux achète une maison de pêcheur surplombant l'océan, au-dessus de la plage de Pen-Had. Il la transforme en manoir à huit tourelles dont la maison forme le centre et baptise la demeure «Manoir du Boultous». À la mort de son fils Coecilian, tombé en 1914 près de Verdun, il le renomme «Manoir de Coecilian». Sa femme, Amélie, meurt quelques années plus tard, en 1923. Ci-dessous, le lieu en question :













Dans son manoir il reçoit de nombreux artistes et écrivains comme André Antoine, Victor Segalen, Alfred Vallette, Max Jacob, André Breton, Louis-Ferdinand Céline et même, en 1932, Jean Moulin, alors Sous-Préfet de Châteaulin. Les membres du Mouvement Surréaliste le considèrent comme un prédécesseur. André Breton publie son «Hommage à Saint-Pol-Roux» le 9 Mai 1925 dans Les Nouvelles Littéraires. Saint-Pol-Roux est membre de l'Académie Mallarmé de 1937 à 1940

L’histoire bascule dans la nuit du 23 au 24 Juin 1940. Saint-Pol-Roux a alors 79 ans. Sa fille, Divine, en a 42. Je cite Wikipédia : «Cette nuit, un soldat allemand investit le manoir, tue la gouvernante et blesse Divine à la jambe d'une balle de révolver. Il est souvent allégué que le soldat aurait violé Divine ; elle-même l'affirme, mais le nie plus tard. Saint-Pol-Roux est blessé mais réchappe de la tragédie car le soldat allemand s'enfuit, effrayé par le chien de la maison. Il est ensuite arrêté, condamné à mort par un Conseil de Guerre et fusillé. Saint-Pol-Roux, hospitalisé à Brest, a négligé de mettre ses inédits en lieu sûr. Lorsqu'il retourne à Camaret, il trouve le manoir pillé et ses manuscrits déchirés, dispersés ou brûlés. Il ne se remet pas de ce choc. Atteint d'une crise d'urémie, il est transporté le 13 Octobre à l'hôpital de Brest, où il meurt le 18 Octobre 1940. Quatre années plus tard, le manoir est bombardé en aout par les forces alliées, ce qui provoque un incendie dévastateur. A partir de là, le manoir conserve sa forme de «ruine». Ci-dessous, deux cartes postales datant de 1968.



Divine, la fille de Saint-Pol-Roux, meurt en 1985 à l’âge de 94 ans. Pour plus d’informations sur Saint-Pol-Roux, rendez-vous sur cette page. Ci-dessous des vues aériennes montrant le lieu de 1951 à 2018









Ma visite date de l’été 2020. N’ayant pas pris mon appareil photo, les images ci-dessous ont été prises avec mon smartphone. On constate que cette ruine est «entretenue» (gros guillemets) dans la mesure où du ciment a été coulé à certains endroits, empêchant ce qui reste du bâtiment de s’effondrer. Ce qui est étonnant c’est que le site reste tout de même très dangereux et qu’il n’y a aucune clôture pour empêcher quiconque de s’y promener. Un simple panneau dit «Ruines du Manoir de Saint-Pol-Roux. Prudence. Des pierres peuvent se détacher de l’édifice.» Lorsque le soleil se couche, le bâtiment est tout de même splendide dans son état de ruine.





























Si je n’étais pas venu avec mon appareil photo, j’étais tout de même venu avec mon drone. J’ai pu donc faire les photos ci-dessous. Installant mon drone au sol, un couple est venu à ma rencontre. Si l’homme ne paraissait pas trop intéressé, la femme, elle, était ravie de voir en direct (via l’écran de mon smartphone) à quoi ressemblait le manoir vu d’en haut, car elle le connaissait depuis des années et y avait même joué étant enfant. Un très bon souvenir qui clôt cette page sur ce lieu insolite.