Important : Pour des raisons de confidentialité, de conservation, de sécurité (etc) je ne donnerais pas la localisation de cet endroit. Merci de votre compréhension.


C'est en fouinant sur Google Maps que j'ai trouvé ce site insolite. Au départ, il n'y avait rien d'attirant : quelques toits en mauvais état, des débris, et juste au-dessus, dans un bois, une forme grise intrigante. Il pouvait très bien ne rien avoir d'intéressant, cela pouvait n'être qu'une petite structure en béton (puits d'aération, reste de bâtiment, etc) mais je me suis dit qu'il fallait que j'en sache plus. Une fois la curiosité piquée, difficile de faire marche arrière...

Une fois garé à proximité, je me rendis alors compte que le terrain était un peu plus escarpé que ce que j'avais prévu. Les entrepôts étaient au niveau du sol, tandis que la partie en béton dans les bois ne serait accessible qu'en grimpant un peu. Quelques minutes après être très facilement entré sur le terrain, je découvrais le premier bâtiment : comme prévu tout était tagué, en mauvais état, et pas bien intéressant à part quelques jeux de lumière ici ou là. Le site était de toute évidence à l'abandon, mais depuis quand ? Je me mis à la recherche de traces, de vieux documents, mais manque de chance tout était vide.





Sortant du premier bâtiment, je me dirige vers un entrepôt un peu plus grand, et cette fois-ci en bois, ce qui indique un certain âge... Sur un mur, un tag : "René le trouillard". Qui est ce René ? Le nom d'un ancien gardien ? Le tag serait-il l'œuvre des tagueurs du coin ? J'entre dans le sombre hall.

Je découvre alors quelque chose que je ne pensais pas du tout voir : un hall dont une partie est habité par de curieux draps volant doucement avec le vent. Je ne m'explique pas trop la raison de leur présence (éviter les poussières ?) mais j'aime beaucoup l'ambiance qui se dégage ici. Je reste un petit moment à contempler ces formes douces esquisser de gracieux mouvements dans la pénombre, au milieu de planches pourries et de métal rouillé.











Un peu plus loin j'arrive dans un autre hall, plus petit, et contenant ce qui reste d'une vieille remorque. J'aime beaucoup l'arche formée par les briques au plafond, il y a là un esthétisme qui me fait penser que ce site est plus ancien qu'il n'y parait. L'autre partie du hall est effondrée. Au loin j'aperçois des logements récents situés juste à coté du site. J'essaye de ne pas trop me faire remarquer et continue mon exploration...





Mes pas me mènent d'entrepôts vides en partie plus ou moins ruinées. Tout est presque différent à chaque fois, que ce soit au niveau des volumes ou de la fonction (enfin, je crois). Le mystère s'épaissit à mesure que j'explore : que fabriquait-on ici ? Le fait qu'il ne reste rien ne me facilite pas la tache. Zéro documents, le néant ! Un des entrepôts avait l'air de contenir de grosses machines, retirées depuis un bout de temps, alimentant l'usine en électricité.









Il est alors temps de se diriger vers la structure grise située dans les bois. Je cherche un passage dans la végétation et tombe sur un semblant de chemin. Serpentant entre les bâtiments en ruine, j'arrive alors au pied d'une sorte de falaise. Mais est-ce une falaise naturelle ? J'ai l'impression que non. Au sol j'aperçois des rails, et plus loin l'entrée d'une carrière, bien fermée. La fonction du site commence à se dessiner dans ma tête.

Gravissant une pente faite de débris de briques et de pierres (comme si un bâtiment avait été démoli à cet emplacement) je découvre un tout petit abri situé au sommet d'une cuve encombrée de végétation. Curiosité : dans le coin au fond à droite de la maison j'aperçois un trou donnant sur la cuve. De toute évidence quelque chose de liquide arrivait ici et descendait vers la cuve. Ou l'inverse. En tout cas la végétation est trop dense pour prendre la cuve en photo, il faudra revenir en hiver. Je continue alors mon chemin vers le sommet.



Quelques instants plus tard je découvre une première structure. Faite de béton, de brique et de pierre, je me demande quelle était sa fonction, mais à priori c'était lié au bâtiment apparemment démoli que j'ai gravi un peu avant. Comme si c'en était un prolongement, la partie la mieux accrochée à la pente. Sur un des murs encore debout de la structure a été peint un arbre blanc. Plutôt joli dans cet environnement où poussent de nombreux bouleaux. Du lierre et quelques tiges rouillées complètement ce paysage post-apocalyptique où flotte cependant une belle sensation de sérénité comme je les aime.



Continuant mon chemin je découvre, caché derrière la végétation, une autre structure, qui a l'air bien plus massive que celle vue juste avant. En fait c'est une véritable forteresse en ruines cramponnée à la falaise que je découvre, à demi cachée par les arbres. Sur un des murs j'aperçois un tag disant que "L'Empire n'a jamais pris fin. K.Dick" Cette phrase de Philip K.Dick provient de son livre SIVA (titre original "VALIS"), roman de science-fiction publié en 1980. De quel empire ce site est-il la ruine ? Un empire industriel ? Nous le verrons plus loin sur cette page.





Arpentant le site, je découvre de nombreuses entrées de tunnel de différentes formes et tailles. Elles ont l'air toutes plus ou moins obstruées si on regarde au fond, quelque mètres plus loin. Mènent-elles à des souterrains ? Y'a-t-il un lien avec la carrière située en contrebas ? Je n'en ai aucune idée, mais tout ça a l'air sacrément dangereux, et c'est avec beaucoup de précautions que j'immortalise les stalactites et stalagmites de calcaire vivant ici. Prenant mes photos, je réalise que je n'ai toujours pas exploré la forme grise vue sur Google Maps, mais je suis déjà sur un site dont le mystère me plait beaucoup...



















Continuant ma lente promenade, je découvre alors la forme grise vue du ciel. Pénétrant par une fenêtre largement ouverte, je découvre une immense salle creuse au plafond disparu où se sont entassé des débris depuis bien des années. Le ciel bleu est magnifique vu d'ici, tout comme la végétation poussant là depuis des lustres. Y'avait-il un plancher dans cette pièce ? Ou était-elle simplement haute de plafond ? Et surtout, que s'y passait-il ? Tout ce mystère est assez excitant avec ces curieux tunnels situés de part et d'autre.







Faisant le tour de la grande salle au plafond crevé, je découvre une autre entrée de tunnel, mais cette fois-ci bien plus grande, et assez magnifique. Je regrette de ne pas avoir pris la pose au milieu de l'image pour montrer sa hauteur. Le fond semble avoir été rebouché il y a bien longtemps, et comme pour les autres tunnels je me demande si il est possible d'aller voir ce qui se passe derrière : si on se penche un peu on peut voir que ça continue vers l'obscurité, mais je ne me sens pas du tout en confiance et décide plutôt d'aller au sommet de la structure grise vue du ciel avec les arbres poussant dedans. Intriguante, cette forteresse...



Me voici en fin arrivé au sommet. Je découvre deux petites "pièces" dont la fonction m'échappe, et contenant de jolies ouvertures octogonales permettant de regarder dans la pièce au plafond disparu. Niveau dangerosité, se pencher au bord de cette fenêtre est vraiment déconseillé, la chute pouvant être fatale... A un endroit, une sorte de canapé a été aménagé avec un grillage tordu et une couverture de fortune. C'est vrai que c'est tranquille comme endroit.







Ci-dessous la vue que l'on a en passant la tête par une des ouvertures octogonales :

La visite se termine en explorant le plateau situé derrière cette forteresse en ruines. La végétation y est forte, et ma visite s'étant déroulée en été j'ai du rater plein de choses, mais on peut tout de même découvrir de nombreux vestiges : piliers, murs de briques, blocs de béton, ferraille trainant un partout... Explorer cette partie du site est compliquée à cause de la forte végétation, il faudra vraiment revenir en hiver. Partout apparaissent de petits creux vraiment dangereux si on ne fait pas attention où l'on met les pieds. Sont-ils reliés aux souterrains que je n'ai pas explorés ? Aucune idée, mais tout ça est vraiment énigmatique, et c'est sur cette note de mystère que se conclue la visite de ce curieux site industriel endormi.







Une fois rentré à la maison je me suis rué sur IGN pour voir si il existait des photos aériennes de ce site lorsqu'il était actif. La première photo que j'ai trouvé remonte à 1919, soit pile 100 ans avant l'année de cette exploration. Regardant la photo, c'est le choc : il y a 100 ans le site était immense, une véritable et gigantesque usine avec derrière, à l'emplacement du bois actuel, une carrière à ciel ouvert. On remarque aussi deux grandes cheminées.

Ci-dessous la même vue, mais avec en vert les bâtiments restants en 2019, en jaune la maison de maître qui fut réhabilitée en 2009/2011, et en rouge tout ce qui a disparu, est effondré ou recouvert par la forêt etc.

Ci-dessous des cartes postales montrant le lieu lorsqu'il était actif au début du XXème siècle :









Ci-dessous une image où l'on peut voir en vert le bâtiment au plafond crevé.




La prochaine vue que j'ai trouvé date de 1944, et on voit clairement que l'usine a subi de lourds bombardements ou un incendie : les toits de beaucoup de bâtiments ont disparu. Dans la partie "histoire" (voir plus loin) on apprends que l'usine avait fonctionné "jusqu'en 1940". Etait-elle inactive en 1944 ? Aucune idée, mais le bâtiment gris rectangulaire où poussent les arbres est déjà là, troué. Ci-dessous, la vue de 1944 :

La vue suivante montre le site dans le même état qu'en 1944. On dirait que la nature a déjà commencé son travail d'envahissement. De l'herbe pousse un peu partout, ainsi que des arbustes. La salle avec le plafond crevé est là, tout comme le petit abri avec un trou menant à la cave, juste à gauche (le point noir collé au carré vert est la cuve). Les autres bâtiments en verts sont ceux toujours debout aujourd'hui. En jaune, la maison de maitre réhabilitée en 2009/2011.

Ci-dessous deux magnifiques vues aériennes datant de 1967. Dans l'ordre on remarque bien les différents points du site : les deux cheminées, la salle au plafond percé, le petit abri collé à la cuve... La maison de maitre (en jaune) et les bâtiments en verts à coté fonctionnent-ils toujours ? On peut le supposer car l'ensemble est propre, on distingue des choses entreposées, rangées etc.



Nous arrivons à 1973, une année importante pour ce site. Le 18 Mars, une équipe de télévision vient sur place pour filmer un évènement symbolique : les deux cheminées vont être dynamitées par l'armée. Le reportage que j'ai pu trouver sur le site de l'INA nous apprend que les cheminées sont inexploitées depuis 1920, jugées inesthétiques et dangereuses (l'une des deux est fissurée), ce qui a conduit la Mairie a cette démolition. Le reportage nous apprend aussi que les gravats liés à ce dynamitage seront enfouis dans la carrière située sous l'usine. Ci-dessous des captures de ce reportage.



Ci-dessous une vue de 1973 montrant le site après que les tours aient disparues.

Par la suite, la nature recouvre peu à peu le site. Ci-dessous des vues de 1999, 2008 et 2011.





Ci-dessous une vue de 2014. Sur le coté gauche, milieu et haut : les bâtiments visités en début d'exploration. Juste en-dessous, la maison de maitre réhabilitée en 2009/2011, et autour d'elle, en forme de L, les logements construits dans le même temps. Colorié en bleu : le bâtiment dont il ne reste que des gravats, et la partie avec l'arbre blanc peint sur un reste de mur. Un peu à droite, la salle au plafond crevé.

Ci-dessous, le cadastre. Même légende que pour ci-dessus : en vert, ce que j'ai visité, en jaune, ce qui a été réhabilité, et en noir, ce que l'on peut trouver dans la forêt et le long de la falaise. Reste-t-il autre chose à voir sur place ? Je ne sais pas trop, mais une deuxième visite en hiver s'impose, il y a peut-être d'autres ruines dans la forêt...

Et maintenant un peu d'histoire : l'usine, construite dans un hameau à la fin du XIXème siècle, produisait 40.000 tonnes de ciment par an et employait environ 200 ouvriers. Pour l'époque c'était énorme. L'ingénieur-chimiste à l'origine de la cimenterie deviendra le mairie du hameau en question et obtiendra la Légion d'Honneur au début du XXème siècle. Il mourra au début des années 20 des suites d'un accident de voiture. Au cours de son histoire la cimenterie plusieurs activités : cimenterie, fonderie, fabrications d'objets divers en résine, et ce jusqu'en 1940. Ci-dessous la cimenterie quand elle fonctionnait.

Je n'ai pas réussi à savoir si le site avait continué à fonctionné après 1940, ou si c'est la Deuxième Guerre Mondiale qui avait signé l'arrêt de mort de la cimenterie avec les impacts de bombardement que l'on peut voir sur la vue de 1944. Un document municipal des années 2000 dit que les bâtiments sont "inoccupés depuis 1990" mais cette information me semble douteuse vu que le site semble bien à l'arrêt dans la vidéo de l'INA datant de 1973. Peut-être qu'une toute petite partie fonctionnait encore ? Difficile à dire. Ci-dessous l'état de la cimenterie en 1973.



Aujourd'hui (2019) la Mairie cherche à faire quelque chose du terrain (6000m²) mais n'a pas le budget pour démolir ce qui reste du site ni le dépolluer. Entre 2009 et 2011 une dizaine de logements furent construits à côté de ce qui reste de la cimenterie : trois appartements dans la maison de maitre qui fut réhabilitée (en jaune sur les images vues plus haut) et le reste dans le bâtiment en forme de L (avec les panneaux solaires sur le toit) que l'on peut le voir sur la vue de 2014. Le reste du site pourrit lentement, et les accès aux carrières où furent entreposés les gravats des cheminées sont bien fermés.